Mis à jour : dimanche 16 janvier 2022

Tu peux entendre la mer : Analyse

Tu peux entendre la mer est sorti un an après Porco Rosso, succès de l'été précédent. Le personnage de Marco Pagot, homme d’âge mur, calme et fort eut beaucoup de succès auprès des femmes qui apprécie beaucoup ce type d'homme un peu âgé, rassurant et qui véhicule rêve et nostalgie. Lorsqu’il appréhende Tu peux entendre la mer, Tomomi Mochizuki, se demande si les adolescents masculins, qui sont en majorité le public des films d'animation au Japon, se sont retrouvés dans ce personnage. De plus, l’organisation de la société japonaise évolue, la femme y joue un rôle de plus en plus important et l’image du jeune homme japonais se brouille.

Dans l'animation, pour représenter des personnages masculins, on décrit soit des personnages forts ou bien des otakus introvertis mais jamais une représentation de l'adolescent classique et réaliste avec ses problèmes simples du quotidien : trouver une copine et réussir ses études. De plus, la publication de Tu peux entendre la mer dans les pages d’Animage a eu beaucoup de succès à l'époque, certainement en réaction aux séries animées violentes telles que Hokuto no Ken (Ken le survivant) ou Seinto Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque) que l’on pouvait beaucoup voir à la TV japonaise. Tu peux entendre la mer est réaliste et a eu probablement du succès car il ne mettait pas en scène de graves problèmes planétaires ni de violence gratuite. La série décrivait le quotidien de lycéens et lycéennes et eut du succès auprès d'eux. À la fin des années 80, il existait bien également des séries mettant en scène des adolescents telles que Kimagure Orenji Rôdo (Max et Compagnie) ou Maison Ikkoku (Juliette je t'aime), mais il s’agissait de séries pour adolescent plus rythmées ou le fantastique était de mise.

Dispute animée version Tu peux entendre la mer….

… Et version Ranma 1/2.

Avec ce film, le but avoué du réalisateur était de mettre fin à la violence de ce type de série se passant au lycée et de présenter au public un garçon normal comme personnage principal. Il a essayé de écrire des lycéens normaux car, après tout, les étudiants de cette époque étaient normaux, plutôt passifs, dans un système éducatif très contrôlé, et non des étudiants extravagants qui luttent contre le système établi. Ces partis pris font ainsi de Tu peux entendre la mer une œuvre atypique dans la production animée japonaise.

Evidemment, Tu peux entendre la mer n’est pas exempt de défauts. Le téléfilm est court, limitant la caractérisation des personnages. Il n’y a pas non plus de réels temps fort ou temps faibles dans la réalisation. Les courts délais de réalisation, le type très introspectif de l’histoire, le character design très particulier ne permettent pas au film d’être aussi ambitieux que les autres productions du studio. Mais il s’agit de la seule et unique expérience de réalisation du studio Ghibli pour la télévision. De plus, le choix de réaliser un film d’animation plutôt qu’un film en prise de vues réelles pour ce type de sujet était un pari risqué que le studio a remporté haut la main, vu le succès populaire du téléfilm.

Le film se distingue également du reste de la production Ghibli par son absence de fantastique ou de merveilleux. Même dans le réaliste Souvenirs goutte à goutte, la mise en scène d'Isao Takahata donnait lieu à des envolées poétiques. Dans Tu peux entendre la mer, aucune scène onirique ne vient interrompre le déroulement tranquille du récit. Et c’est tout le talent de Mochizuki d’avoir su caractériser ses personnages et retranscrire leurs sentiments sans avoir recours à des artifices ou des exagérations.

Dialogues et moments de silence tiennent une place importante dans Tu peux entendre la mer.

Tu peux entendre la mer a l’ambition modeste de décrire avec finesse et honnêteté les incertitudes et les préoccupations de lycéens coincés entre l’adolescence et l’âge adulte, tiraillés entre l’amour et l’amitié. Le trio amoureux, ressort classique des comédies romantiques n'est pas ici un prétexte à des quiproquos, rebondissements et autres marivaudages. Jamais par exemple Rikako, Taku et Yutaka ne se retrouvent dans la même pièce ou réunis, ils ne cessent au contraire de se fuir, afin d'éviter toute situation embarrassante, loin des effets comiques habituels. Raconté par un lycéen moyen, l’histoire prend l’allure d’une introspection sur les joies et les douleurs que l’on rencontre à cet âge, les incompréhensions qui caractérisent les relations avec autrui. Toutes ces expériences seront bénéfiques aux différents protagonistes qui gagneront en maturité. Leur entrée à l’université marque en effet leur passage à l’âge adulte et la réunion d’anciens élèves est l’occasion de reparler avec recul de leurs erreurs passées.

Le cadre de Tu peux entendre la mer est typiquement japonais, notamment dans sa description de la vie quotidienne d’un lycéen au Japon. Ainsi Taku, bien que mineur, travaille parallèlement au lycée. Cette pratique, appelée baito (traduire littéralement : « petit job »), est courante au Japon. Le classement des élèves au lycée, que l’on voit dans le film et qui explique la rancœur des camarades de Rikako envers elle et sa réussite, est également une thématique très largement développée dans les séries d’animation japonaise pour adolescents. Ce type de classement encourage les élèves à constamment progresser et à dépasser les autres, dans un esprit de compétition que seules quelques lycées français réputés encouragent, cela engendre beaucoup de pression et on voit bien Rikako s’isoler et se désociabiliser au fur et à mesure que ses résultats scolaires augmentent, et ceci dans un seul but : rejoindre un jour Tôkyô. En effet, les examens d’entrée dans les universités prestigieuses demandent beaucoup d’investissement. C’est ainsi que certains élèves ont recours au système du juku (cours du soir), qui sont payants et chers, ou encore à des cours de bachotage intensifs l’été, comme on peut le voir avec Yukata. Si il ne s’agit que d’une toile de fond, le système éducatif nippon est décrit avec beaucoup de justesse par Mochizuki, sans toutefois aller jusqu’à une critique de ce système. Le réalisateur pose un décor, ancrant le trio amoureux dans le réalisme de la vie quotidienne.

Mais si le cadre est typiquement japonais, Tu peux entendre la mer développe une histoire, des situations et des sentiments universels, propres à toucher n’importe quel spectateur, de n’importe quelle contrée. Ainsi quel garçon ne s’est pas entiché d’une fille comme Rikako confirmant le vieil adage « Le cœur a des raisons que la raison ignore » ? Quel adolescent n’a pas été impliqué dans un triangle amoureux avec son meilleur ami ? Qui n’a jamais réprimé ses sentiments pour préserver une amitié ? Tu peux entendre la mer touche parce qu’il parle des peines et des joies de tout adolescent...