Mis à jour : dimanche 7 mai 2023

Conan, le fils du futur : Analyse

Bien que Conan, le fils du futur soit une série de commande, le résultat est une œuvre très personnelle, contenant des thèmes et des archétypes de personnages qui caractériseront Hayao Miyazaki dans ses futurs travaux.

Apocalypse...

Parmi les thèmes importants de la série, le premier à apparaître est celui de la catastrophe. C'est un sujet terrible mais également fascinant comme le montre l'épisode 25 décrivant la fin d'Industria, qui est le plus beau de la série aussi bien au niveau visuel que narratif.

Il n'est pas difficile d'imaginer comment la guerre et les bombardements atomiques ont pu enraciner la vision cauchemardesque de l'apocalypse chez les japonais et donc chez Hayao Miyazaki. Dans la série, les forteresses volantes qui sont responsables de la dévastation mondiale rappellent le nom « superfortress » des bombardiers B29 qui en août 1945 ont lâché les bombes sur Hiroshima et Nagasaki. Un autre exemple est celui du docteur Raoh qui refuse d'aider Industria à reproduire artificiellement l'énergie du soleil. On peut voir un parallèle à la crise de conscience des responsables du projet Manhattan et des scientifiques pères de la bombe atomique.

Ces rapprochements évidents s'accompagnent d'intéressants corolaires. L'un d'eux est l'état civil de Conan qui, comme Lana, est orphelin. C'est un trait commun à la majorité des jeunes héros des séries japonaises. Les raisons sont habituellement d'ordre narratif (il est alors possible de créer des personnages libres et entreprenants) mais dans Conan, le fils du futur , il y a une justification supplémentaire : le conflit a créé une génération entière d'orphelins.

En effet, le rôle des parents est d'assurer la transmission d'une éducation, d'une culture et l'établissement de limites. Leur absence implique que les orphelins se construisent par eux-même. De plus, ces enfants considèrent bien souvent les adultes comme les responsables plutôt que les victimes de la guerre. Cet aspect émerge clairement dès le premier épisode de la série avec la dispute entre Monsry et le grand-père de Conan. Celui-ci reproche à la jeune femme l'usage de la violence militaire. La réponse est sans réplique :

« C'est vous les adultes qui avez été responsables de cette guerre. Nous étions des enfants à cette époque. Est-ce que vous aviez réfléchi un instant à la vie à laquelle vous nous condamniez. On a dû se battre pour survivre ! [...] De quel droit osez-vous nous faire la leçon ? »

On retrouve ce thème avec le personnage de Raoul, qui est à la tête d'une communauté entière d'orphelins. Le choix des enfants de se passer de la tutelle des adultes illustre ce conflit de génération d'après guerre : les enfants ne font plus confiance aux adultes. Ils rejettent donc l'ancienne société et tentent de reconstruire un monde sur de nouvelles bases.

... et renouveau

Dans l'épisode 23, le docteur Raoh démontre aux enfants l'illusion que constituent les tours d'Industria et conclut qu'il n'y a pas d'autres possibilité pour l'être humain que celui de vivre au milieu de la nature.

High Harbor (Île d’Edenia).

Hayao Miyazaki exprime ainsi dans Conan, le fils du futur l'utopie d'un monde harmonieux, en particulier dans les épisodes consacrés à la description d'Edénia. La paix bucolique de cette île vient faire contrepoids à la technocratie destructive d'Industria. La représentation tendre et minutieuse de la nature et la description chaleureuse et vibrante des interactions sociales sont un témoignage de la sincérité avec laquelle le réalisateur propose sa société idéale. Dans le monde pacifique imaginé par le réalisateur, le capitalisme est remplacé par la solidarité et sont affirmées les valeurs fondamentales de la liberté et de l'égalité. Miyazaki expose parmi d'autres idées sa conception du travail en communauté et les principes d'échange et de troc.

Miyazaki ne prône pas pour autant un retour à la vie paysanne, privée de tout progrès scientifique. Dans une scène clé du vingtième épisode, l'oncle de Lana conclut avec le grand-père à la nécessité de trouver une synergie entre les modèles contradictoire d'une société paysanne et industrielle.

Ainsi, alors que le roman d'Alexander Key reflète l'hostilité américaine envers le bloc soviétique, dans la série de Miyazaki transparaît au contraire un idéal communisme japonais de type communautaire, partagé par de nombreux intellectuels à l'époque.

Machines et personnages

Si Hayao Miyazaki met en garde contre les méfaits de la technologie quand les hommes ne la contrôlent pas, Conan, le fils du futur témoigne néanmoins de l'attrait du réalisateur pour les machines. C'est en effet avec une réelle passion que le réalisateur a imaginé tous les bateaux, robots, automobiles et surtout appareils volants de la série. On peut même affirmer que ces machines ont été conçues avec une méticulosité digne de celle de véritables personnages. Certains prototypes sont étonnants : les machines volantes anti-gravité du docteur Raoh, l'une d'elles pouvant même se déplacer sous l'eau ; le Barracuda, voilier de transport construit avec des matériaux récupérés, les étranges robots acéphales, dont la maniabilité problématique est la source de nombreux gags.

Quant aux personnages en chair et en os, ils ont la caractéristique de ne pas être manichéens, divisés de manière simpliste entre bons et méchants. À l'exception de Lepka, le bureaucrate destructeur, tous les personnages ont prouvé qu'ils pouvaient se racheter. Ainsi le couple le plus surprenant de la série regroupe des deux personnages les plus moralement contradictoires : le capitaine Dice et Monsry. Ce sont d'ailleurs eux qui ont le plus évolués pendant la gestation des différentes versions des scénarii.

Si la Monsry définitive est l'archétype de la femme forte et combattante chère à Miyazaki, le capitaine Dice est de son côté l'incarnation de la crapule dotée cependant d'une conscience. Caractérisé de manière à donner vie à des situations paradoxales et comiques, Dice doit sa réussite à ses contradictions : assez peu de scrupules pour travailler pour Industria, mais capable de prendre ses distances avec la folie de Lepka ; cynique au point de sacrifier Conan au nom de son intérêt, mais prêt en même temps à lui porter secours ; pervers quand il fait de vulgaires avances à Lana mais assez sensible pour réveiller la féminité de Monsry, dissimulée par la dureté de sa condition militaire.

Le couple de héros est en revanche exempt de toute ambiguïté. Différents mais complémentaires, Conan et Lana sont les précurseurs de Pazu et Sheeta, huit ans auparavant. Lana est dotée d'un don exceptionnel de télépathie et semble parfois avoir de véritables pouvoirs magiques. Elle est réfléchie et posée, pesant chacune de ses décisions. Bref, une spirituelle, au sens premier du terme. Conan possède au contraire un physique hors norme, un esprit terre-à-terre et instinctif qui le pousse à agir selon ses impulsions primaires. Après la synthèse de la science et de la nature, Miyazaki nous en propose donc une nouvelle, où semble résider le désir d'harmonie et le message d'espérance du réalisateur pour la reconstruction d'un monde nouveau.

C'est une mission confiée aux jeunes qui apparaîtront encore souvent chez le réalisateur comme plus sains d'esprits et de corps que la génération précédente. Et dans cette perspective, il est tout à fait significatif que Miyazaki se soit inspiré, comme il l'a souvent répété, de son fils pour le personnage de Conan.