Mis à jour : vendredi 11 mars 2022

Nausicaä de la Vallée du Vent : Analyse

Combien il est difficile de parler de Nausicaä, tant le film comme son héroïne sont uniques, hors normes, et tout à fait indispensables. Nausicaä de la Vallée du Vent est passé dans la mémoire collective japonaise. Près de vingt après sa sortie, il est toujours classé dans les sondages parmi les animes préférés des Japonais, chaque ressortie en Vidéo/DVD/Blu-ray atteint les sommets des ventes et la princesse Nausicaä est considérée au Japon comme l'un des plus grands personnages de fiction jamais créés.

Une princesse mythologique et messianique ?

On sait qu'Hayao Miyazaki s'est inspiré de deux mythes pour créer son personnage. L'un est celui de la légende japonaise La princesse qui aimait les insectes. Ce conte japonais du XIIᵉ siècle narre l'histoire d'une jeune fille qui refusait de se teindre les dents en noir, qui ne se rasait pas les sourcils et qui avait la peau halée, allant à l'encontre de la coutume en vigueur à l'époque pour les femmes. Elle ne s'intéressait en fait qu'à la beauté intérieure, et non à la superficialité de l'apparence. Alors que les autres jeunes filles s'intéressaient aux papillons, elle se passionnait pour les chenilles et les chrysalides. On ignore ce qu'est devenue ensuite cette princesse. On retrouve bien évidemment une grande partie de ce caractère chez Nausicaä, qui n'éprouve aucun sentiment de haine envers les Ômu, s'intéresse à l'évolution du , et est prête à se sacrifier pour ces formes de vie que pourtant tous détestent.

La seconde source est tirée de l'Odyssée de Homère. Comparer cette source d'inspiration peut sembler intéressant. Pour les curieux, la princesse apparaît dans le Chant VI et s'évanouit du récit au chant VII. C'est un personnage relativement secondaire mais son histoire peut expliquer l'intérêt de Miyazaki pour ce mythe. En effet, alors qu'Ulysse échoue sur les rivages de Phéacie, Athéna envoie la jeune princesse Nausicaä pour l'accueillir. Elle est la seule à ne pas être effrayée par son aspect repoussant. Elle lui permet d'arriver à la cour, mais ne peut l'accompagner jusqu'à la ville, par peur des rumeurs et des réactions lorsque les Phéaciens découvriront un homme inconnu accompagné de leur princesse. Cette sage décision permet en effet au héros d'être accueilli sans problème par la reine Arété.

Les différences entre les deux personnages sont nombreuses. La Nausicaä d'Homère est une jeune fille qui désire profondément se marier et elle voit en Ulysse l'Homme idéal, soutenue par sa mère Arété. Chez Miyazaki, malgré les accointances avec certains personnages masculins, Nausicaä est seule et condamnée à le rester, car son côté messianique ne peut que l'isoler, faire d'elle un guide mais pas une compagne. Son empathie est trop universelle pour se concentrer sur une seule personne.

Mais les ressemblances existent. Si, chez Homère, Pallas a choisi Nausicaä pour accueillir Ulysse, c'est parce que le peuple des Phéaciens est méfiant de nature, et Nausicaä est probablement la seule à pouvoir secourir le pauvre Ulysse. De plus, elle montre une grande sagesse en laissant Ulysse aux portes de la ville, ce que souligne ce dernier auprès de la reine Arété ensuite, évitant ainsi une arrivée ambiguë aux bras de la princesse. En effet, elle ne semble pas avoir une quinzaine d'années, mais être une femme mûre et réfléchie.

Ensuite, la Nausicaä d'Homère est presque « habitée » par Athéna, qui la guide vers Ulysse. Cette force divine la fait ressembler véritablement à une déesse et intime le respect au naufragé. Cela fait évidemment penser à la réaction admirative que suscite « notre » Nausicaä, auprès des autres personnages, mais aussi auprès de ses admirateurs en « chair et en os », élevée au rang de quasi-déesse.

Enfin, Homère souligne le fait que les Phéaciens sont les plus grands navigateurs de la Méditerranée, maîtrisant les flots et les courants comme personne. Cela me rappelle un peu la Vallée du Vent, en transposant légèrement la technique...

La Nausicaä de Miyazaki puise donc son origine dans deux contes, afin de créer ce personnage hors normes et quasi messianique, bien que Miyazaki réfute toute inspiration religieuse dans le film. Certaines scènes renforcent cette impression de divinité du personnage. Ainsi, la scène où Nausicaä se projette devant le vaisseau de Pejite pour sauver le bébé Ômu est frappante. Pendant quelques secondes à peine, on aperçoit la jeune fille, les bras en croix, offerte aux tirs des soldats, s'offrant littéralement comme cible et comme victime pour empêcher le massacre qui se prépare. Ce geste de sacrifice ultime agit comme une révélation sur le spectateur. Nausicaä évoque irrésistiblement l'image du messie prêt au sacrifice de sa personne pour sauver la moindre forme de vie. La scène finale n'est finalement que l'accomplissement de la prophétie, la révélation de la nature quasi-divine de Nausicaä.

L'alliance magique de l'image et de la musique

Nausicaä est le premier film où Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi collaborent, donnant naissance à un véritable chef-d'œuvre né de l'union magique entre les images et une bande-son époustouflantes. Cette première rencontre entre les deux hommes marque un véritable tournant dans leur carrière respective et la naissance d'une collaboration qui continue encore à ce jour.

Certes, la musique peut sembler parfois un peu datée, très marquée par les années 80 et le synthétiseur. Cependant, certaines scènes du film du film n'auraient véritablement pas la même portée sans la musique de Hisaishi. Ainsi, Miyazaki met en scène le moment où Nausicaä se remémore une scène grâce aux Ômu avec une petite comptine chantée par une voix d'enfant. On ignore encore quelles sont ces images que Nausicaä voit, mais grâce à ces quelques notes simplissimes et cette petite voix mutine, l'ensemble de la scène est teintée d'une nostalgie et d'une douceur inattendues. Cette même musique revient quelques minutes plus tard, lorsque Nausicaä rêve. On comprend que l'on est plongé dans les souvenirs de la princesse, alors qu'elle n'était qu'enfant. La petite comptine venant accompagner les images, on s'attend à une évocation tendre de son enfance. Mais déjouant les clichés habituels de ce type d'évocation, Miyazaki met en scène au contraire un grand traumatisme : la scène où Nausicaä tente de protéger un bébé Ômu de la folie meurtrière des adultes, dont ses propres parents. Le spectateur ne peut être que bouleversé par la violence des images qui s'oppose à l'innocence absolue de la musique.

Un des autres moments forts du film, alliant musique et image, est probablement la scène finale du film. Nausicaä vient d'être renversée par les Ômu, guidés par leur colère presque aveugle. On la découvre, gisant morte au centre des Ômu, apaisés par ce sacrifice ultime. Ils portent alors Nausicaä vers les cieux grâce à leurs tentacules. Retentissent alors quelques notes, celles de La sarabande de Haendel, revisitées par Hisaishi. Cette musique, universellement connue, semble accompagner la princesse pour sa marche funèbre. Le spectateur est bouleversé devant ce spectacle ultime, convaincu de la mort de l'héroïne de Miyazaki. Puis, le requiem s'estompe peu à peu, laissant place à la comptine enfantine. Cette musique permet de se souvenir de l'épisode de l'enfance de Nausicaä, où elle s'était battue pour sauver un Ômu, petite fille seule face à la folie des adultes. En choisissant cette musique, Miyazaki semble vouloir nous dire que les Ômu offrent donc à nouveau la vie à Nausicaä, comme un geste de remerciement pour tout ce que Nausicaä a fait pour eux, dans le présent comme dans le passé. Ces quelques notes apaisent également le spectateur, après la tension émotionnelle du « requiem », le préparant à la résurrection miraculeuse de la princesse grâce à la force régénératrice des Ômu.

Les idéaux face aux critiques

On a reproché au film de ne pas avoir su retranscrire l'ensemble du manga écrit et dessiné par Hayao Miyazaki. Evidemment, le film n'aurait jamais existé sans le manga. Mais un tel reproche sur la qualité de l'œuvre peut prêter à sourire. En effet, alors qu'il commence la réalisation du film, Miyazaki n'en est qu'à son 2ᵉ volume. Difficile donc pour lui de résumer la série entière, puisqu'elle est bien loin d'être terminée à l'époque de la conception filmique. Dans la bande dessinée, Miyazaki a pu développer un monde, une intrigue, des personnages et construire des interactions avec une profondeur qu'un film de 2 heures ne peut atteindre. Ainsi, beaucoup de critiques ont fait l'erreur de regarder le film Nausicaä de la Vallée du Vent comme un parent pauvre du manga. Pour ne pas tomber dans ce piège, il faut considérer le film comme une œuvre originale et indépendante.

Or une fois ce cap franchi, on s'aperçoit que Nausicaä est sans doute le film le plus important de Miyazaki, celui sans lequel le reste de son œuvre ne peut être totalement compris. Ce magnifique film nous dévoile toutes les passions et les obsessions qui allaient poursuivre le maître dans ses futures réalisations. Il expose les thèmes de prédilection et les archétypes qui seront développés par la suite avec tant de succès. Mais surtout, ce qui fait de Nausicaä un film à part, est ce souffle, cette énergie pure, cette sincérité que Miyazaki a exprimées dans son propos et dans le portrait de son héroïne, incarnation de ce que l'humanité peut avoir de plus beau et de plus noble.

Si ce film apparaît si sincère ce n'est pas dû qu'à l'unique talent de conteur de Miyazaki. En fait, rarement un réalisateur s'était autant confié dans un film. Bien qu'il ne s'agisse pas du premier travail de maître, on peut considérer Nausicaä comme une œuvre de jeunesse. C'est la première fois en effet que Miyazaki a un contrôle artistique total sur un film. Alors plus que pour tout autre film, il y met à nu ses convictions, ses peurs, ses espoirs et ses idéaux. On y découvre entre autres la conception qu'il se faisait à l'époque du marxisme. Nausicaä, comme toutes les héroïnes miyazakiennes, n'agit que pour le bien de l'humanité sans avoir aucune ambition personnelle. Miyazaki n'a jamais caché son aversion pour les grosses structures politiques et les grands régimes étatiques. Le petit royaume de la Vallée du Vent représente ainsi son idéal communautaire luttant contre de plus grands oppresseurs.

Tous les critiques n'ont pas approuvé le discours qu'ils ont cru voir dans le film. Quelques-uns ont été offensés par l'aspect messianique de l'histoire, d'autres s'interrogent sur le côté militant voire manipulateur du récit. Certains encore ont dit que l'histoire promet l'arrivée d'un messie sauveur du monde, seulement pour nous montrer que le monde n'a pas besoin d'être sauvé. Le message serait selon eux que les crises environnementales sont bien mieux résolues en ne faisant rien. Et de conclure que le film manque ainsi totalement de crédibilité.

Miyazaki n'a pourtant jamais prétendu présenter de solutions aux problèmes environnementaux. Il invite à une prise de conscience, il tire en quelque sorte une sonnette d'alarme. Dans le film, quand les hommes luttent contre la forêt, ils risquent d'empêcher la purification du monde et précipitent leur propre destruction. Et leur obstination et leur aveuglement sont symboliques d'une espèce humaine qui a perdu le contact avec les racines mêmes de sa propre existence, au point de se croire capable d'exister sans son écosystème.

Mais Miyazaki englobe dans sa problématique des questions bien plus larges que le simple rapport à la Nature. Au travers des différents personnages avec leurs qualités et leurs faiblesses, c'est la nature humaine qui est observée. Au travers des actions de Nausicaä, c'est une philosophie de vie qui transparaît. Nausicaä de la Vallée du Vent n'apporte évidemment pas de solutions miracle mais amène le spectateur à méditer sur des questions essentielles : comment vivre ensemble ? Comment réagir face à la peur, la colère, la haine des autres ? Comment maîtriser ses propres émotions pour agir avec discernement ? Comment amener les autres à plus de lucidité vis-à-vis des conséquences de leurs actes ?

Nausicaä de la Vallée du Vent n'est pas seulement un formidable divertissement. C'est un film beau, fort et émouvant, qui nous rappelle que le monde nous réservera toujours des moments de grande beauté et que la seule façon de les apprécier est de vivre, d'aimer. Nausicaä est un film somme ; c'est une œuvre qui ouvre les yeux et rend meilleur. Tout simplement.