Mis à jour : vendredi 11 mars 2022

La princesse des étoiles :
Chronique d'une véritable purge

Derrière ce titre peu évocateur se cache ni plus ni moins que la version censurée de la seconde réalisation de Hayao Miyazaki : Kaze no Tani no Naushika/Nausicaä de la Vallée du Vent, réalisé en 1984 et dont le succès permit la création du futur studio Ghibli. Nous vous proposons dans cette présente chronique le parcourt singulier de ce film à travers le monde, depuis sa création jusqu'à nos jours.

La saga des jaquettes volantes

S'il y a bien une chose qui caractérise la diffusion de cette version censurée de part le monde, et qui aura frappé toute personne étant un jour ou l'autre tombé nez à nez sur l'une des inombrables VHS éditées de ce titre, ce sont les fabuleuses jaquettes prouvant que les éditeurs ne manquaient nullement d'imagination pour vendre au mieux ce film à leur public respectif. Tout commence par le rachat en 1985 des droits d'exploitations vidéo par des importateurs américains peu scrupuleux ayant clairement abusés de la confiance des Japonais. Le ton est donné, il s'agissait dès lors de vendre ce « chef-d'œuvre des mangas » comme une vulgaire bisserie post-apocalyptique des familles et qui, support VHS oblige, poussera l'éditeur à s'assurer que le métrage tienne bien dans les 90 minutes standard des vidéos vendues à l'époque. On en veut pour preuve le magnifique travail exécuté sur la jaquette américaine de Warriors of the Wind (Les guerriers du vent) de la VHS éditée en 1985 par New World Video :

(Cliquez pour agrandir l'image.)
L'accroche dit ceci : « Une bande de jeunes guerriers sur les ailes de leur plus grand défi » (sic).

Comme vous pouvez le constater, cette présente jaquette est une pure lubie de graphiste, appuyant à merveille l'accroche mensongère de cette dernière. Elle est fourrée de références confuses et bien entendues sans aucun rapport avec l’œuvre en question. On sent clairement le besoin de surfer sur les succès de l'époque, puisqu'on y reconnaît sans mal un pseudo-Muad'Dib chevauchant son pseudo-vers de Dune, un pseudo-Vador lasérisé tout droit sortie de chez Star Wars, ainsi qu'un Pégase sortie de... ben de la mythologie grecque tout simplement ! Personnages évidemment totalement absents du présent film. Seul le monstre rouge (Tremors ?) est vaguement inspiré du Dieu-guerrier du film. Mais là aussi, le graphiste n'a pu s'empêcher de raccourcir la longue lance tenue verticalement par les soldats géants dans le générique du début, en un simili sabre laser. Et encore il est fort peu probable qu’il n'ait pu voir une séquence qui fut justement coupée au montage. Quant à la pauvre Nausicaä, elle est reléguée en arrière plan alors que c'est quand même l'héroïne du film. Las ! Cela ne devait pas être très vendeur une femme guerrière en tête d'affiche.

Bien entendu, ces importateurs ne perdront pas leur temps en exportant à leur tour cette version à diverses éditeurs européens qui le destineront eux aussi pour le seul marché de la vidéo.

Petit florilège des VHS éditées de par le monde :

  • La VHS anglaise éditée sous le même titre en 1987 par Vestron Video International :

    (Cliquez pour agrandir l'image.)
  • Les Allemands auront pu découvrir Sternenkrieger (lit. Les guerriers des étoiles) éditée par UFA Video en janvier de la même année :

  • La VHS Argentine de Guerreros del viento (Les guerriers du vent) éditée par Bell Video Grand S.A. toujours la même année :

    (Cliquez pour agrandir les images.)
  • Son homologue Espagnol sorti le 19 mai 1991 chez Manson International :

    (Cliquez pour visionner le scan HD.)

Et pour finir nos multiples éditions françaises :

A gauche et au centre, les éditions VIP International sortie en 1987, succesivement rebaptisé Le vaisseau fantôme puis La princesse des étoiles. A droite, la réédition sortie en 1994 chez Blue Kid's Video :

(Cliquez pour visionner le scan HD.)

Si les jaquettes étrangères et les deux premières jaquettes françaises ne se contentent jamais d'un titre trompeur, d'accroches foireuses et d'autant d'inénarrables résumés, l'édition Blue Kid prend soin quant à elle de mentionner des crédits... farfelus. Seulement voilà, il y a fort à parier que nos pauvres éditeurs étrangers et français se soient appuyés en toute bonne foi sur les informations fournies par le distributeur américain... A noter aussi que ce film fut diffusé sur France 3 entre 1987 et 1990.

Chronique d'un charcutage en bonne et due forme

Puisque nous étudions en détail l'étendue des dégâts via la version française, autant le faire sur son support le plus récemment sorti, à savoir la fameuse édition DVD.

Présentation de cette édition « collector » :

La belle jaquette (Cliquez pour agrandir).

Le superbe verso avec ses magnifiques accroches et son inénarrable résumé (Cliquez pour agrandir).
Les spécifiations sont cependant parfaitement exactes.

La sérigraphie pousse l'originalité jusqu'à reprendre la visuel de la jaquette.

Pour l'anecdote, et avec l'aide du logiciel DVD profiler, nous découvrons que le code-barre du présent DVD renvoie directement à d'autres prestigieuses éditions DVD telles que les éditions françaises de Running Man, Dragon Ball (le mythique bis Malais) et autre American Ninja qui sont autant d'éditions « libres de droits » et de vulgaires reprises des VHS VF recadrées sorties tout aussi illégalement par un seul et même éditeur pirate, un dénommé Intégral Vidéo dont le -long- parcourt singulier et des plus troubles force véritablement le respect. Notre contrefacteur se cachant ici sous le sobriquet de Lazer Films (cf logo). Et à l'instar de toute édition au copyright frelaté qui se respecte, nulle mention n'est faite de l'auteur, l'année ou l'origine du film, encore moins sur celle de ce présent montage. Cela ferait désordre. C'est qu'il ne faudrait pas voir à s'attirer l'attention du possesseur des droits cinéma et vidéo du film au niveau mondial, à savoir le très puissant éditeur/distributeur Buena Vista, et en l'occurrence de sa branche française. Cette présente édition DVD, sortie en toute confidentialité au nez et à la barbe de Buena Vista dans nos contrées, ne proposant, vous l'aurez sans doute compris, qu'un vulgaire repiquage tiré d'une VHS trouvée dans une quelconque broquante, avec un chapitrage des plus amateurs en guise de seul bonus.

Le master vidéo :

L'image est recadrée avec les pieds, du genre 1.50 en haut de l'image et 1.70 en bas à vue de nez. Il n'est évidemment pas question de format 16/9 sur cette présente édition, faudrait pas voir à pousser mémé dans le Fukai. Nous ne parlons pas d'une édition sérieuse proposant une image anamorphique au format 1.85 d'origine comme c'est le cas de l'édition japonaise, hongkongaise ou américaine de ce présent film. Repiquage VHS oblige, des scratches et autres stries sont légions, quand ce ne sont pas décalages et autres pans entiers d'images effacées qui ne s'invitent pas de temps à autre. Et comme elle est tiré d'un télécinéma fatigué, de nombreuses tâches et autre drops de changement de bobines sont de la partie. Les couleurs sont délavées et fort peu contrastées, à tel point que l'on n'y voit quasiment plus rien lors des scènes de nuit, les rendant littéralement nocturnes pour le coup. Mais trève de blabla, une capture [1] parlant d'elle-même :

(Cliquez pour agrandir l'image.)

Nous sommes à mille lieues de l'image lumineuse et incroyablement belle et propre de l'édition japonaise qui aura nécessité plus de deux années de restauration complète du master image et de la bande son.

La bande sonore :

Mono d'origine ici proposé en Dolby Digital. Doublage étranger oblige, les voix se voient mises en avant par rapport à la musique passablement massacrée de Joe Hisaishi. Elle accuse certes son âge, mais s'avère être parfaitement intelligible et ne souffre d'aucun souffle ou autre problèmes de saturation (à condition de ne pas pousser le niveau sonore, cela va de soit) Mais là aussi, à côté de l'excellente mono japonaise d'origine de l'édition japonaise, il n'y a pas photo.

Le charcutage :

Tout d'abords, l'on commence directement par le film, exit le carton pré-générique présentant les producteurs et autres distributeurs du film, même sort pour celui consacré à le WWF et son célèbre Panda, alors partenaire du film à l'époque. Concernant le film en lui même, ça commence fort dès les premières minutes avec un magnifique sucrage du générique de début au profit d'un speech narré résumant le passé apocalyptique de notre planète ainsi que la situation actuelle, le tout calé directement sur les images qui suivent, en temps normal, directement le générique montrant l'arrivée de Nausicaä dans la « Mer de la décomposition » (la forêt polluée particulièrement toxique). Speech suivi d'un carton noir présentant l'éditeur américain « Manson International Presents » suivi d'un très laid et fort peu discret Warriors of the Wind calée sur l'image du film. La seconde coupe sombre intervient peu après, supprimant diverses séquences dont la fameuse nuée de spores tombant comme de la neige.

Ainsi, ce sont tout simplement les plus belles et les plus émouvantes scènes du film, notamment celles à caractère écologique qui passent à la trappe pour ne laisser place qu'aux seules scènes d'action et de guerre. Quant au magnifique générique de fin nous décrivant l'après-guerre, il se voit tout bonnement remplacer par des cartons présentant les principaux crédits japonais en anglais, master US oblige. Le film durant à l'origine 1 h 56, ce n'est pas moins d'une bonne vingtaine de minutes qui auront été victimes du massacre.

L'adaptation :

Bien entendu, les dialogues auront subi de nombreux changement par rapport à la version originale, que ce soit pour dissimuler les coupes sombres dans le métrage, mentir sur certaines situations, voire se méprendre complètement sur les enjeux, motivations et émotions de nos divers protagonistes. Vous proposer un récapitulatif exhaustif relevant de la gageure, je vous en ferais grâce. Les germanophiles pourront toujours se délecter de l’autopsie détaillée opérée par le site cinéphile suivant : Sternenkrieger par TheLongestSite.de

Évidemment les noms français/américains ne sont pas les noms d'origine :

  • La princesse Nausicaä devient la princesse Zandra,
  • Maître Yupa devient le seigneur Yappa,
  • La reine Kushana devient la reine Selena (prononcé « Célina »),
  • Kurotowa devient « Son Excellence »,
  • Le roi Jill devient le roi Zeal (prononcé « Zil »),
  • Mito, le pilote du Gunship, devient Axel,
  • Le prince Asbel devient Martel (souhaitant sans doute arrêter les Gorgones à Poitiers, n'est-ce pas ?),
  • La princesse Lastel devient Listel.

Les noms de lieux, d'objets et d'animaux ne sont bien évidemment pas en reste :

  • Les Tolmèques deviennent ainsi les Temaculums (prononcé « Témaculome »),
  • Pejite devient Priscilla,
  • L'aile Moeve devient un simple « aileron »,
  • le Gunship devient un bête « vaisseau »,
  • Les Ômu deviennent des Gorgones géantes (sic),
  • Le Fukai ou la « Mer de la décomposition » devient une « jungle toxique » voire une « jungle » tout court.

Le doublage :

En dépit de cette adaptation passablement irrespectueuse de l’œuvre originale, le doublage français se révèle être de bonne qualité. Et ce quand bien même la correspondance des voix par rapport à la V.O. ne joue clairement pas en sa faveur. D'aucun serait surpris, entre autres, par la voix haut perchée d'une Nausicaä/Zandra, de son roi de père, de la voix outrageusement jeune de la sorcière ou bien encore de divers personnages secondaires, comparés à leurs homologues japonaises.

Voici le casting français [2] de La princesse des étoiles :

  • La princesse Zandra, un enfant, une vieille femme : Marie-Laure Dougnac
  • Le seigneur Yappa, un vieux villageois, un soldat : Frédéric Girard
  • La reine Célina, la vieille femme aveugle, la mère de Listel : Dany Tayarda
  • Son Excellence, le villageois au fusil, un homme de Martel : Jean-Louis Faure
  • Le roi Zeal, un vieux villageois, narration : Raoul Delfosse
  • Axel, un vieux villageois : Laurent Hilling
  • Le prince Martel, un soldat de Son Excellence : Pierre Laurent
  • La princesse Listel, un enfant, une petite fille : Annabelle Roux
  • Un vieux villageois, un homme de Martel : Jean-Pierre Mallardé

Conclusion

D'aucun s'interrogera quant à l'intérêt d'une telle analyse à propos d'une censure pourtant vieille d'une vingtaine d'années et dont on pourrait supposer qu'il y aurait prescription, eu égard la situation actuelle. C'est qu'au delà du caractère anecdotique qu'il semble revêtir de nos jours, ce charcutage en règle, symptomatique de l'irrespect affiché des importateurs américains vis-à-vis des artistes et ayant droits japonais, Hayao Miyazaki (réalisateur), Isao Takahata (producteur), Yasuyoshi Tokuma et Michio Kondô (Producteurs exécutifs) en tête, aura passablement nuit à la découverte des œuvre suivantes du mythique studio d'animation japonais et ainsi retardé d'autant la reconnaissance de ce dernier hors des frontières de son pays. En effet, échaudé par cette terrible expérience, Miyazaki et les membres du studio Ghibli fraîchement créé (c'est le succès de Nausicaä de la Vallée du Vent qui a permis sa création pour rappel) ont tout simplement coupé cours à toute négociation avec les étrangers et ont délibérément laissé tomber toute idée d'exporter les films produits au sein de ce studio. Ce n'est seulement que grâce à des initiatives de fans curieux et d'intervenants passionnés dans le monde entier, qu'ils ont petit à petit retrouver la confiance, notamment grâce aux efforts des distributeurs français jusqu'à ce que Ghibli signe l'accord historique qui lient désormais Tokuma et Disney. Sans cet incident, nous n'aurions pas attendu trois ans pour découvrir Princesse Mononoke dans nos salles obscures, dix-sept ans pour Le château dans le ciel, quinze pour Kiki, la petite sorcière. Et le grand public français d'avoir, à cause de cela, découvert Nausicaä de la Vallée du Vent à l'occasion du vingt-deuxième annniversaire de sa création.


Remerciements : [1] Merci à Suprême Clarté du forum DVDanime.net pour la capture et [2] Arachnée et Kurama de Planete-jeunesse.com.