Mis à jour : samedi 5 mars 2022

Sherlock Holmes : Analyse

Bien que Sherlock Holmes ait été beaucoup moins diffusé que d’autres séries animées japonaises, la génération ayant grandi dans les années 80 garde bien souvent un souvenir ému et nostalgique des aventures du plus célèbre des détectives privés, sans forcément savoir qu’il s’agit da la dernière série à laquelle Hayao Miyazaki a participé.

Des germes des futurs films de Miyazaki...

Les fans de Ghibli remarquent la patte de Hayao Miyazaki à travers les 6 épisodes qu'il a réalisés, voire découvrent avec étonnement les germes de tous les futurs films du réalisateur. Evidemment, bon nombre de personnages de la filmographie miyazakienne trouvent un écho dans cette série, à commencer bien sûr par le personnage de Madame Hudson. Elle incarne parfaitement un délicieux mélange de Gina et de Fio. Ainsi, selon les épisodes, elle peut paraître telle une jeune veuve éplorée et mélancolique, depuis la mort de son aviateur de mari, attentionnée pour tous, ayant un petit mot pour chacun, telle la patronne de l’Adriano. Mais elle peut aussi bondir à bord d’une voiture et braver tous les dangers pour sauver Holmes, véritable femme d’action brave et sans peur, à l’instar de Fio. Dans les deux cas, elle est demeure respectée et adulée par touts ceux qui l’approchent, Holmes y compris, et peut donc ainsi entrer au panthéon des héroïnes miyazakiennes, aux côtés de Nausicaä, Kiki ou San...

Moriarty et ses sbires incarnent quant à eux des méchants se situant entre les attachants Mamma Aiuto et les pirates du ciel de Dora d’une part, et l’ambitieux Kurotowa d'autre part. Les inventions loufoques et abracadabrantesques du professeur, les remarques désabusées de ses deux associés et le running gag de leurs échecs face à Sherlock Holmes rendent ses personnages éminemment sympathiques, bien qu’ils demeurent des ennemis capables de tout, y compris des tentatives de meurtres, pour s’enrichir.

D’autres protagonistes, qui apparaissent ponctuellement, rappellent inévitablement les mimiques d’autres personnages miyazakiens. Ainsi, Lestrade incarne le digne successeur de l’inspecteur Zeingata, dans Le château de Cagliostro, policier dépassé par les évènements, mais prêt à tout pour arrêter les malfrats. Les mimiques et les gestes de l’adorable Martha, dans La petite cliente, ne sont-elles pas les prémisses d’une Mei ? La débrouillardise et la vie et de l’orpheline Polly, dans Le rubis bleu, mais aussi son improbable bicoque faite de bric et de broc évoquent irrésistiblement le quotidien de Pazu.

On retrouve bien évidemment les thèmes chers de Miyazaki, comme l’aviation et les machines. Ainsi, Sherlock Holmes peut évoluer dans des avions, comme dans Le trésor des mers ou L’aéropostale. Mais on remarque également des engins assez invraisemblables, comme le ptérodactyle mécanique de Moriarty, son sous-marin à bras ou sa voiture-tracteur. La machine à presser des pièces rappelle furieusement le château ambulant, crachant, mouvant, mais presque vivant. Les nombreuses scènes de poursuite effrénées rappelent quant à elle celles du Château de Cagliostro et du Château dans le ciel. Lorsque les policiers de Lestrade chargent et s’effondrent les uns sur les autres, on pense bien évidemment aux pirates de Dora ou aux Mamma Aiuto. La disparition des pièces d’or se situe dans un décor minier annonçant Le château dans le ciel, tandis que l’architecture de son château se fait l’écho de celui du Comte dans Le château de Cagliostro, et donc de celui de Paul Grimault dans Le roi et l’oiseau.

La série incarne donc parfaitement les principales caractéristiques du cinéma de Miyazaki, sur un mode humoristique et canin.

... Au sein d'une création originale

La série n’en demeure pas moins une création originale dans la filmographie du réalisateur.

Ainsi, Sherlock Holmes a pour cadre un univers canin totalement anthropomorphisé, où les chiens roulent en voiture, fument le cigare et jouent du violon. On est donc très loin d’un personnage à la Porco Rosso, où le physique de Marco Pagot est avant tout une métaphore, ou de l’univers de son collègue Isao Takahata dans Pompoko, où, certes, les tanuki parlent, chantent, s’aiment, mais sans nier l’existence des humains et sans vivre tout à fait comme eux. Le choix de cette représentation ne vient pas de Miyazaki, mais du projet initié par l’italien Pagot, destiné aux plus jeunes. Miyazaki joue finalement peu de cette fantaisie et préfère s’intéresser avant tout à la caratérisation des différents personnages, à la mise en scène et aux scénarii comico-policiers à la Edgar de la cambriole.

Finalement, la seule étrangeté dans ce monde canin repose dans l’aspect de Holmes, ressemblant furieusement à un renard, et de celui de Moriarty, évoquant le loup. On peut y voir une allusion évidente au Roman de Renart, recueil de récits médiévaux qui mettait en scène les aventures du goupil Renart et de son compère le loup Ysengrin. Le premier, espiègle et malin, ridiculisait de manière systématique le second, bête et cruel. Or, on retrouve ces mêmes traits de caractère chez nos deux protagonistes principaux, Holmes et Moriarty. Cette relation est assez inédite dans l’œuvre de Miyazaki. Et on peut dès lors se demander si la relation qu’entretiennent les deux personnages est moins le fait du réalisateur que celui de l’influence occidentale inhérente à cette production internationale.

Enfin, autre originalité de la série, le rôle du personnage de Watson. Celui-ci joue en fait le rôle du naïf posant sans cesse des questions à Holmes. Le but de cette mise en scène est bien évident de permettre aux spectateurs de comprendre l’intrigue, puisque Holmes comprend tout avant tout le monde. Ce rôle assez superficiel et convenu est assez rare chez Miyazaki, qui évite généralement d’enfermer ses personnages dans une fonction pré-établie et statique. En fait, son docteur Watson reprend là les caractéristiques de son double de papier, puisque chez Sir Arthur Conan Doyle, l’ancien chirurgien est celui qui raconte les aventures du détective. Devant l’impossibilité de retranscrire cet aspect de l’œuvre, l’équipe aurait donc créé un Watson curieux mais un peu lent, qui reprend de manière systématique le nœud de l’intrigue, devenant une sorte de narrateur et surtout un double du spectateur. Cependant, on sent que parfois, Miyazaki aime rompre l’aspect lisse du personnage. C’est ainsi que dans Le trésor du fonds des mers, Watson devient un personnage très comique, gesticulant, s’énervant, vociférant, bien loin de l’image polissée auquel le spectateur est habitué. Difficile d’enfermer Miyazaki et son équipe dans des schémas pré-conçus !

Evidemment, il est peut-être exagéré de dire que Sherlock Holmes est une œuvre de Hayao Miyazaki, puisque ce dernier n’en a réalisé que les 6 premiers épisodes. Cependant, le reste de la série, même si inégal, a été véritablement marqué par la patte du réalisateur, son savoir-faire, sans oublier le talent de l'ensemble de son équipe. De plus, ces 6 petits bijoux peuvent être considérées, à juste titre, comme un moment clé dans l’histoire de Miyazaki, annonçant ensuite toute sa filmographie.

« Le plus grand des réalisateurs, oui c’est lui, Miyazaki, le voici ! »