Mis à jour : vendredi 7 octobre 2022

Mes voisins les Yamada : Analyse

Une œuvre originale

Mes voisins les Yamada n'est pas le Ghibli auquel nous sommes habitués. Et ceci tant au point de vue du scénario que du graphisme. On est loin des films de Hayao Miyazaki, évidemment, mais aussi des précédents longs métrages de Isao Takahata. En effet, il n'y a pas une seule histoire narrative, mais des petits sketchs aux styles, aux tons et aux mises en scène très différentes, une juxtaposition plus ou moins structurée de tranches de vie d'une famille japonaise moyenne. Cependant on retrouve aussi des thèmes et des leitmotivs chers à Takahata.

Le style des dessins, totalement inédit dans l'histoire de l'animation japonaise, en a surpris plus d'un également. À première vue, cela ressemble à des esquisses sur lesquels ont été jetés des touches de couleurs. En fait, on se rend vite compte que le soin apporté à l'animation et au détail est largement comparable à celui des autres films du studio. Les dessins sont réalisés sous la forme d'aquarelles aux douces couleurs pastel et les décors réduits à un ou deux éléments par scène sur fond blanc. L'extrême stylisation des traits donne une agréable légèreté aux graphismes, tout en rendant expressive la moindre image, le moindre décor, le plus petit mouvement. Les traits des visages, pour aussi simples qu'ils soient, déclinent toute la gamme des expressions humaines. On peut voir dans ce graphisme étonnant une évolution chez Takahata, qui semble rejeter tout réalisme, à l'opposé d'un Tombeau des lucioles ou d'un Souvenirs goutte à goutte. Évidemment, on peut le lier à la volonté de respecter l'esprit du manga de Hisaichi Ishii. Mais c'est aussi une ouverture dans le monde de l'animation vers une autre forme de réalisation, à la fois minimaliste, expressive et inventive.

On remarquera enfin l'excellente idée de Takahata concernant le passage où Takashi doit faire face à un gang de motards. Dans cette scène, le style de dessin change alors radicalement en accord avec le changement de ton. On reconnaît ici une animation plus traditionnelle, où Takahata met en scène des personnages respectant les règles de proportions et nous apparaissent sans caricature ou simplification, comme dans une œuvre animée « traditionnelle ». La mise en scène est également plus conventionnelle, évoquant le film noir de gangsters. Ainsi toute la scène est nocturne et la seule lumière est artificielle, provenant d'un phare de moto. L'éclairage atteint de plein fouet Takashi, aveuglé, renforçant sa solitude face à la bande de motards se trouvant derrière la lumière aveuglante. La scène permet de bien sentir toute l'angoisse de la situation pour le personnage, le ton tranche très clairement par rapport au reste du film, au ton plus moqueur et plus léger.

Mais très vite, à l'arrivée de Shige et de Matsuko dansant au son des casseroles, on retrouve le style propre aux Yamada, permettant ainsi au discours moralisateur mais comique de Shige d'apparaître directement dans la scène. Takahata dédramatise ainsi en quelques secondes la scène et libère à nouveau toute sa verve et sa mise en scène débridée.

Une œuvre uniquement destinée aux Japonais ?

Graphisme mis à part, le degré d'appréciation de ce film dépend certainement de la situation familiale du spectateur ou plutôt de la conception qu'il a de la famille. En Asie, la famille est une notion encore plus fondamentale qu'en Europe et les liens qui unissent ses membres sont très forts. Ainsi, rien d'étonnant à voir Shige vivre avec toute sa famille sous son toit, la prise en charge des personnes âgées au Japon relevant presque systématiquement des enfants. De plus, les Yamada étant censés être représentatifs de la famille japonaise moyenne, il est probable que les japonais se reconnaissent plus que nous dans les personnages caricaturés par Hisaichi Ishii et Isao Takahata (ou du moins ils reconnaissent leurs proches ou leurs voisins !). Ainsi Takashi incarne le rôle du « salaryman » (cadre moyen japonais) parfois complètement dépassé par la vie familiale, Matsuko est une femme au foyer japonaise n'arrivant pas à jouer parfaitement le rôle que la société nippone lui impose (tenue impeccable de la maison, maîtrise parfaite de la cuisine traditionnelle, respect des aînés...), ou encore Noboru, élève supportant difficilement la pression scolaire que subissent la plupart des écoliers nippons.

On retrouve également de nombreuses allusions à la culture japonaise. Ainsi, Takahata ouvre son film sur un générique où sont figurées des cartes avec la figuration d'un oiseau, d'un sanglier, ou du père et du fils Yamada. Ces images, déjà mises en scène par le réalisateur dans Kié, la petite peste, sont en fait une représentation du jeu de cartes Hanafuda (Le jeu des fleurs), divertissement très populaire au Japon mais aussi symbole des temps anciens et d'un Japon moyenâgeux idyllique.

Quel est le sens du titre original du film ?

En japonais, le titre original est Hôhokekyo Tonari no Yamada-kun. Saviez-vous ce que signifie le mot Hôhokekyo du titre ?
Il s’agit tout simplement du cri de l’uguisu (la bouscarle chanteuse), un petit oiseau de couleur olive très répandu au Japon et en Asie. Dans le film, son cri ponctue en effet l’œuvre à différents moments clés.

Il a également choisi d'insérer des Haiku (forme japonaise de poésie en 17 syllabes sur 3 vers) entre chaque épisode du film, et notamment, ceux de Matsuo Bashô (1644-1694). Cet auteur est considéré comme le premier grand maître du Haiku et est le fondateur d'une école de poésie, le style Shôfu, recherchant la simplicité, l'humilité, l'humour et la conscience de l'altération des choses due au temps qui passe. Depuis Mes voisins les Yamada, Takahata est revenu à l'œuvre de cet auteur, puisqu'il a participé en 2003 à l'œuvre d'animation collective Fuyu no Hi (Jours d'hiver), adaptation d'un poème de Bashô auquel ont participé plus de 35 réalisateurs venus du monde entier.

Autre référence artistique, Takahata rend un hommage furtif à l'une des estampes les plus connues mondialement, La grande vague de Kanagawa d'Hokusai, lorsque les époux Yamada subissent une lourde tempête.

La grande vague de Kanagawa d'Hokusai

De même, un peu plus tard, au cours de ce périple, on peut voir le paysage, figuré par de fins traits noirs comme tracés à la plume. Ceci évoque la peinture japonaise au lavis et à l'encre, dite de style Nanga, inspirée de la représentation traditionnelle de paysages chinois.

Paysage de Nakabayashi Chikkei

Pour Mes voisins les Yamada, Isao Takahata fait naturellement aussi plusieurs allusions que seul japonais ou un amateur féru de culture nippone peut saisir. Ainsi, lorsqu'il évoque la naissance de Noboru dans une pêche, il évoque le conte traditionnel Momotarô (Le fils de la pêche), où un couple de vieux japonais découvre un petit garçon dans une pêche.

Concernant la naissance de Nonoko dans une pousse de bambou, là encore il s'agit d'une allusion à un autre texte, Le conte du coupeur de bambou, où là encore un couple âgé sans enfant découvre une petite fille nichée au creux d'un bambou. Takahata adaptera finalement ce conte pour son ultime long métrage, Le conte de la princesse Kaguya.

En dépit de cette apparente barrière culturelle, la plupart des situations décrites dans le film sont universelles et certaines scènes ne manquent pas de nous rappeler quelques souvenirs d'enfance ! Pour le spectateur étranger, ce regard -souvent humoristique- dans la vie quotidienne des Yamada met en lumière toutes les inquiétudes et toutes les pressions auxquelles les familles japonaises doivent faire face de nos jours. Il est intéressant alors pour lui de comparer avec sa propre expérience, et il remarquera sans peine que les tracas journaliers des japonais ne sont pas si éloignés des siens.

Les thèmes chers à Isao Takahata

Un des thèmes récurrents de l'œuvre de Isao Takahata est la nostalgie, même si les souvenirs décrits ne sont pas toujours heureux. On peut déjà rencontrer ce motif dans ses trois précédents longs métrages Le tombeau des lucioles, Souvenirs goutte à goutte et Pompoko. Avec tous leurs petits défauts et le côté dérisoire de leur existence, les personnages et la famille sont décrits par Takahata avec une réelle tendresse et une certaine émotion.

Au début du film, on trouve une longue métaphore sur la vie conjugale, apparentée à un voyage. Démarrant avec l'image de Takashi et Matsuko descendant leur gâteau de mariage en bobsleigh, puis enchaînant sur un voilier, un tracteur, une barque pour finir sur un escargot (on remarquera que le moyen de transport est de plus en plus lent et de moins en moins excitant !), elle montre comment la famille Yamada a grandi tout en venant à bout des intempéries passagères de la vie.

De même, on ne peut être que sensible à la profondeur qu'apporte au film le choix de Haiku opéré par Takahata. Leurs propos est double : ils mettent en évidence le coté émotionnel de certaines scènes, et en conjonction avec le style « aquarelle » des dessins, ils donnent l'impression que l'on regarde un manuscrit animé, réalisé pour les temps modernes. C'est à ce moment là que le sens nostalgique de Takahata est le plus fort. En juxtaposant une citation du 18ᵉ siècle avec un moment de la vie moderne, le réalisateur montre, de façon poétique, que certains aspects de la condition humaine n'ont finalement pas changé.

Dans un même temps, comme le souligne la structure du film, la vie est plus variée qu'on ne le croit. Après les scènes d'introduction, on réalise que le film n'est pas fondé sur une trame unique, mais se présente comme est une succession de tranches de vie. Quelques sections, comme Nonoko oubliée au supermarché ou Shige voulant défier un gang de motards, sont des petites histoires continues. D'autres scènes sont regroupées sous un thème commun. Enfin quelques unes semblent complètement isolées et à part dans la trame narrative. Toutes alternent en tout cas des moments comiques et des épisodes plus poignants (Shige rendant visite à une amie à l'hôpital par exemple). Comme à son habitude, Takahata semble presque poser un regard de sociologue sur ses contemporains, les analysant sans toutefois les juger trop sévèrement, rendant ses personnages attachants, drôles et parfois émouvants.

Il est probable que certains auraient préféré un scénario mettant en scène cette drôle de famille dans une même et seule histoire. Cependant, force est de reconnaître que Takahata a réalisé un film vraiment remarquable qui, par son originalité et sa justesse, s'impose comme une nouvelle référence dans l'animation mondiale.