Mis à jour : vendredi 7 octobre 2022

Mes voisins les Yamada : Art et technique

La technique de « l’aquarelle animée »

Pour Isao Takahata, les personnages du film Princesse Mononoke n’étaient pas en harmonie avec les décors. Pour Mes voisins les Yamada, il souhaite obtenir une cohérence entre décors et personnages. Depuis longtemps, il rêvait d’une nouvelle technique pour arriver à ce résultat.

C’est lors d’un séjour aux Etats-Unis qu’il voit par hasard un court métrage canadien datant de 1981.

« Je voulais changer de style », explique-t-il. « Le déclencheur a été le film Crac ! de Frédéric Back. J’ai été épaté par son animation ! »

Crac ! de Frédéric Back.

Takahata a ensuite transmis son enthousiasme à Hayao Miyazaki et ils sont allés le voir ensemble. Pour Miyazaki aussi, ce film a été un terrible choc.

« On est sortis abattus du cinéma ! », confirme ce dernier. « C’était un film hors du commun. Je me suis rendu compte que les miens étaient ordinaires et misérables. »

Takahata souhaitait également depuis longtemps réaliser un projet qui puisse mettre en valeur la tradition japonaise du trait dessinés à la main et de son épaisseur changeante. En animation traditionnelle, les animateurs dessinent d’abord sur papier de belles lignes énergiques qui sont ensuite recopiées et uniformisées et finalement s’affaiblissent. Cela déplaît au réalisateur.

« Les animateurs dessinent avec des lignes assez grossières qui me plaisent beaucoup », argumente-t-il. « Mais quand on les recopie, elles perdent de leur énergie. Il est naturel que des lignes esquissées donnent une impression d’énergie, d’élan. Je pense que cette énergie spontanée doit être montrée à l’écran. »

Une volonté de retour aux sources du travail d’animation évoquée par une apparition progressive du trait au début du film, comme pour susciter une prise de conscience du spectateur par rapport à cela.

Takahata a donc souhaité conserver les lignes des dessins crayonnés qui composent l’animation pour l’ambiance qu’ils créent. Ce changement de méthode a profondément troublé l’équipe. Plus personne n’arrivait à savoir si son dessin était bon ou mauvais et les différents responsables ont exprimé leur embarras.

Si le procédé utilisé permet de mettre en valeur les dessins faits à la main, il pose problème pour la colorisation car les lignes scannées sont discontinues ou moins claires. Par ordinateur, on colorise l’espace entre les lignes, mais si elles sont discontinues, la couleur déborde.

Pour la colorisation, il faudra donc ajouter des lignes spéciales. Pour chaque dessin à l’écran, c’est 3 éléments qui sont nécessaires à sa colorisation :

Les lignes du dessin d’origine,

celles pour la colorisation.

Il en faut une troisième, la ligne de silhouette, afin de laisser des endroits sans couleurs.

L’image finale.

En tout, le film a atteint les 173 000 dessins, soit beaucoup plus que Princesse Mononoke.

Certains plans ont aussi posé leurs problèmes lors de la colorisation. Lorsqu’un personnage ouvrait la bouche, il y pouvait y avoir un vide. Il fallait alors décider de coloriser l’intérieur de la bouche en blanc ou laisser voir ce qu’il y avait derrière. Chaque plan a été examiné au cas par cas.

Dans ce plan, l’équipe a opté pour laisser apparaître la veste de Takashi.

Dans celui-ci, où plusieurs personnages ouvrent la bouche, l’équipe a fait différents choix.

Au final, ce n’est ni plus ni moins qu’une « aquarelle animée » que Takahata souhaite voir à l’écran. Pour cela, l’organisation de la section décors doit changer également. Les décorateurs devront notamment apprendre à travailler avec la technique de l’aquarelle.

Dans les premiers mois de la production, ils tâtonnent beaucoup et n’arrivent pas à satisfaire les exigences du réalisateur. Il leur faut souvent un mois pour dessiner un seul décor.

Des échantillon de décors sont alors très tôt créés et colorisés. Ils serviront de références pour unifier tous ceux du film tout au long de la production.

Animation : Les astuces pour animer les personnages

Le dessin grossier des personnages du manga, aux grosses têtes et aux membres courts, a posé problèmes aux animateurs du studio Ghibli, plus habitués à dessiner et des personnages aux proportions réalistes.

Par exemple, pour les jambes :

La longueur entre le genou et le pied dépend de la position du personnage.

Dans ce plan aussi, la longueur des jambes change en un instant.

Ici, quand Takashi s’assied, ses jambes s’allongent et donne une impression de réalité. Le secret : il soulève son pantalon.

Le doublage

Comme à son habitude, Isao Takahata fait enregistrer les voix des personnages de son film avant que l’animation soit réalisée. Et ce, afin de coller à la physionomie des acteurs.

« Les relations parents-enfants au Japon sont devenues difficiles. Pourquoi une telle évolution ? », se demande-t-il. « On a trop de sollicitude envers l’autre. Avant, on se parlait sans retenue et on n’en éprouvait aucune gêne. Dans les familles actuelles, les parents ménagent les enfants et réciproquement. C’est étouffant mais c’est une réalité. J’ai voulu créer une famille dont les membres se parlent franchement. Même si la mère est brusque, il faut qu’elle se montre aussi chaleureuse. »

Lors des répétitions, en juin 1998, voilà ce que demande le réalisateur à Yukiji Asaoka (Matsuko) : « Ne pas chercher à jouer une mère douce et gentille, mais parler sans retenue et sans prendre de gants. » Takahata entend ainsi critiquer la famille japonaise d’aujourd’hui.

Les acteurs pour les voix des enfants Yamada ont été choisis sur enregistrements.

C’est lors de leur première réunion, pendant que la compositrice Akiko Yano visite le studio Ghibli avec Takahata, que le producteur Toshio Suzuki a l’idée de lui proposer de doubler un personnage, en plus de composer la bande originale du film. Il pense que sa voix correspondrait bien à celle de l’institutrice Fujiwara. Même si elle n’a que 3 répliques, c’est un rôle important, puisque c’est elle qui revendique le leitmotiv du film : « Ne pas en faire trop. »

La grand-mère sentencieuse qui fait un discours lors du mariage des parents est doublée par Chocho Miyako, vénérable actrice que Takahata estime. L’équipe se déplace et enregistre à Ôsaka, où elle réside, le 2 août 1998.

Malgré ses 50 ans de carrière, Miyako ne saisit pas le personnage et veut improviser. Ce que Takahata refuse. Il s’attache au sens des mots. Elle trouve aussi qu’il y a des erreurs dans le dialecte d’Ôsaka mais elles ont été voulues par Takahata. Il faudra 3 heures pour la calmer et finalement arriver à enregistrer son monologue. Takahata est tenace et ne fera aucun compromis.

Casting secondaire.

Kosanji Yanagiya, le lecteur de Haiku.

La musique

La musique du film est confiée à la compositrice Akiko Yano. Isao Takahata, fin connaisseur, pense qu’elle est la seule à pouvoir écrire des chansons pleines d’énergie.

Akiko Yano

D’abord choriste au Yellow Magic Orchestra, le groupe de Ryûichi Sakamoto, puis mariée de ce dernier, Akiko Yano poursuit une brillante carrière solo depuis le début des années 80. Son style se reconnaît facilement avec une voix haut perchée, limite nasillarde, et des mélodies qui ne doivent pas grand-chose à l’influence occidentale. Outre ses albums, Yano a composé énormément de musiques pour des spots publicitaires, mais pour Mes voisins les Yamada, elle a écrit pour la première fois une bande originale avec un résultat parfaitement en accord avec le film d’Isao Takahata, appuyant plus encore le cadre japonais du film. Elle parvint ainsi à concrétiser les nombreuses attentes du réalisateur, malgré la distance entre Tôkyô et New York, où elle a travaillé, le décalage horaire et le peu de temps dont elle disposait.

« J'ai eu l'idée de faire appel à Akiko Yano pour composer la musique du film. Toutes ses chansons sont à la fois très intéressantes, amusantes et pleines d'esprit », explique Isao Takhata. « J'ai toujours été étonné du fait que, tout en s'adressant à notre imagination, nous donnant ainsi une mystérieuse sensation d'envol, elles gardent le sens de la réalité. Elles nous rappellent que nous vivons dans ce monde. Elles n'ont pas pour objectif de nous faire oublier la réalité en nous conduisant vers un autre univers. Magnifiques, elles nous aident à mieux vivre en nous apportant une petite lumière au quotidien. Elles sont pour la plupart libres, gaies, souriantes. Je rêvais de la voir s'amuser à improviser avec sa voix et son piano devant les images du film terminé. Je pense que sa musique est idéale pour un film devant lequel le public aura envie de rire... »

Dès leur première rencontre, le 26 novembre 1998, le courant passe immédiatement. Le déclencheur a été la note d’intention du film : dès le début, Takahata y dit préférer le mot « réconforter » à « consoler ».

« Le mot « consoler » fait partie du vocabulaire que je ne veux pas utiliser », explique Akiko Yano. « Je le trouve passif. Quelqu’un attend qu’on le console. Par contre, « réconforter » est un mot actif et positif. Quand dans une famille, on se réconforte mutuellement, je pense qu’on forme une famille au vrai sens du terme. »

La compositrice rapportera que la mélodie de Hitoribocchi ha Yameta (J’ai cessé d’être seule), le thème principal, lui est venue immédiatement au retour, dans le car. Dès le lendemain, au studio d’enregistrement, elle couche sur une partition cette mélodie imaginée « pour aider les gens à découvrir le bonheur caché », « un air un peu sentimental qui touche à la vérité de la vie », et confiante, elle commence à jouer ce qui deviendra le thème principal du film.

« Réconforter » et non « consoler », le réalisateur et la musicienne se sont compris. Toshio Suzuki en restera étonné en assistant à ce moment et pense qu’il plaira au réalisateur non présent à ce moment. En digne producteur, il ne perd pas de temps et lui demande immédiatement d’écrire les paroles.

« Hitoribocchi ha Yameta vient à la fin du film », explique Takahata. « Pour terminer, il me fallait une chanson un peu sentimentale, qui touche à la vérité de la vie. J'espère que la chanson d'Akiko Yano est convaincante et qu'elle permettra à tous de découvrir le bonheur caché. Je serais ravi si le thème principal pouvait contenir une formule magique qui aide à mieux vivre et qui soit facile à retentir. Je voulais une chanson libre et drôle, parlant du quotidien et de la famille. »

Isao Takahata ému à la première écoute du thème principal du film.

Le thème principal et la musique du film sont ensuite enregistrés à New York, au studio d’enregistrement Avatar Studios. L’enregistrement est envoyé au Japon par l’intermédiaire de Radio City (Music Hall).

Les musiques improvisées au piano constituent le pilier de la bande originale et expriment parfaitement les sentiments des personnages, avec uniquement l'instrument et une voix.

Il y a aussi la musique de fond que l'on entend à peine lors des scènes dans la librairie ou le centre commercial. Elle est constituée de bossa-nova composée par ordinateur. Akiko Yano collabora avec Jeff Bova, producteur primé aux Grammy Awards, célèbre pour son travail avec Céline Dion. Il participa aux arrangements et à la production du thème principal.

Fin février 1999, La bande originale du film s’enrichie encore un peu plus. Isao Takahata, grand amateur de musique classique, fait enregistrer une version orchestrale du thème principal par l’Orchestre philharmonique tchèque à Prague en république tchèque.

¿Qué será será

C’est Isao Takahata qui a traduit les paroles originales de la chanson anglaise (au titre espagnol) ¿Qué será será. Il tenait particulièrement à celle-ci pour la fin de son film.

Le 19 août 1998, il réunira à nouveau les doubleurs principaux au studio d’enregistrement Sanwa d’Ôsaka pour la chanter.
« Y aura-t-il des arcs-en-ciel jour après jour ? », questionne Yukiji Asaoka (Matsuko) et Tôru Masuoka (Takashi) lui répond : « ¿Qué será será… (Ce qui doit arriver, arrivera…) L’avenir on ne le connaît pas… ».

Et c’est dans l’atelier de Hayao Miyazaki, le 3 avril 1999, qu’est enregistré le chœur constitué par l’équipe du studio Ghibli.

La rumeur disait que Miyazaki chanterait aussi mais il ne fera que regarder du premier étage.