Mis à jour : dimanche 3 mars 2024

Ponyo sur la falaise : Art et technique

Le point sur lequel Hayao Miyazaki a bien insisté pour Ponyo sur la falaise était de ne pas avoir recours à l'animation 3D et de travailler au maximum de façon traditionnelle. Cela en résistance, mais aussi pour se différencier de la mode actuelle dans le milieu du cinéma d’animation japonais mais aussi mondial. Le réalisateur préfère continuer à proposer au spectateur ce que le studio Ghibli sait si bien faire, estimant aussi qu’il y aura toujours un public pour venir voir cette spécificité.

Graphisme

Cette fois-ci encore, tous les artistes du studio ont donc dessiné à la main, mettant en moyenne une semaine pour venir à bout de 5 secondes d’animation. C’est au total 170 000 dessins qui ont été nécessaires pour créer le film. Par exemple, rien que pour les 12 secondes du 5ᵉ plan du film, un travelling vers le bateau sous-marin de Fujimoto, c’est au final 1 613 dessins qui ont été nécessaires pour sa confection. Entre les dessinateurs, les décorateurs et les coloristes, c’est en tout plus de 350 personnes qui ont travaillé sur ce film et que Hayao Miyazaki a dirigées.

Pour concevoir ce film, le réalisateur s’est entouré d’une partie de ses plus fidèles collaborateurs. Le directeur de l’animation est Katsuya Kondô, qui avait déjà travaillé à ce même poste notamment pour Kiki, la petite sorcière. Mais c’est le travail qu’il a fourni pour l’animation, sur un character design épuré, pour le court métrage La chasse au logement qui lui a sans doute valu d’être désigné par Miyazaki.

Le directeur artistique est Noboru Yoshida, un des piliers du département des décors du studio Ghibli depuis Princesse Mononoke. Yoshida est un artiste dont le style personnel est proche de celui des livres illustrés pour enfants. Il a donné au film un style léger et rafraîchissant qu’il avait déjà eu l’occasion d’expérimenter sur le court métrage La grande excursion de Koro, pour lequel il s’était inspiré du style de l’illustratrice Akiko Hayashi. On voit à quel point les courts métrages du musée Ghibli ont une importance fondamentale dans la création des films du studio. On retrouve par ailleurs une similitude entre les scènes sous-marines de Ponyo et celles de Mon Mon, l'araignée d'eau. Enfin, les traits simples et presque enfantins, ainsi que le thème même du film évoquent également le court métrage La chasse à la baleine.

La grande excursion de Koro et La chasse au logement.

Dans cette équipe rapprochée, on pourra également citer le nom de la fidèle coloriste Michiyo Yasuda, la collaboratrice de longue date de Miyazaki. Tous ont joué un rôle important dans le processus de création d’un style graphique spectaculaire qui sert l’intensité dramatique du film.

Animation

Tout ce qui bouge à l’écran dans Ponyo sur la falaise a été animé à la main, renouant ainsi, pour le plus grand plaisir des spectateurs, avec la force vitale pétillante des anciens dessins animés dit « traditionnels ».

Pour l’animation, comme à son habitude, Hayao Miyazaki vérifie en détail tous les genga (poses clés) des animateurs et retouche lui-même ce qui ne va pas. Par exemple, pour la scène où Ponyo retrouve Sôsuke devant chez lui et l’étreint, le sentiment de joie n’était pas très bien décrit par ce que l’animateur lui a présenté. Il décide de retoucher les dessins en se demandant quelle est la meilleure façon de représenter cela. Quels sont les bons traits pour rendre la scène plus vivante et touchante. « La bonne ligne existe quelque part. À nous de la trouver. »

Finalement, Miyazaki exprime les sentiments de Ponyo grâce à la crispation générale de ses pieds et la position de ses doigts de pieds, ainsi qu’à la forme du pantalon de Sôsuke, gonflé dans le bas mais serré au niveau du bassin. « Retoucher l’animation signifie également autre chose d’important. Quand je vérifie et dessine des lignes, petit à petit je finis par comprendre ce que les personnages pensent ou comment ils se comportent. »

Toutes les scènes de métamorphoses de Ponyo sont étonnantes et font parties du charme du film. La plupart de ces scènes sont dues à l’animateur Shinji Ôtsuka, collaborateur régulier aux œuvres du studio Ghibli, mais aussi à celles, entre autres, du réalisateur Satoshi Kon (Perfect Blue, Millenium Actress, Tokyo Godfathers, Paprika). Selon Miyazaki, le graphisme utilisé dans ces scènes représente une nouvelle référence dans l’histoire du studio, dans sa façon inédite d’aborder le trait.

L’un des défis artistiques et formels pour Miyazaki dans le film est de représenter l’océan comme une entité vivante. Outre la représentation et l’animation de la mer, le réalisateur a aussi apporté une attention toute particulière aux créatures sous marines magiques qu’il a imaginé et qui viennent renforcer l’idée que l’eau est un personnage à part entière.

Ainsi, lors de la création de la scène du tsunami, alors que Ponyo cherche à retrouver Sôsuke, le réalisateur s’est plus particulièrement inquiété de la quantité de poissons géants qui devaient être présents à l’écran sans que cela rebute le public et atteigne ainsi son objectif. Selon lui, les petites sœurs de Ponyo, transformées par l’eau de vie, en jaillissant et en venant frapper l’eau de mer, doivent avant tout donner l’impression d’une explosion massive de vie comme à l’ère du Dévonien. Concernant la forme, elles représentent une hélice d’ADN.

Miyazaki a également expliqué à ses collaborateurs comment il imaginait voir bouger les poissons d’eau, ces étranges masses d’eau animées, pour qu’ils comprennent bien l’objectif esthétique de ces scènes. Dans toutes ces scènes, ce n’est pas la stricte représentation exacte de la forme d’un poisson ou de l’eau qui est importante, mais c’est l’idée, la sensation de matière en mouvement qui doit ressortir ici et frapper le spectateur.

Bande sonore

Le doublage

Après la tentative de confier le rôle de Hauru à l'idole Takuya Kimura dans Le château ambulant, pour Ponyo sur la falaise, Hayao Miyazaki semble vouloir renouer avec une tradition de doubleurs-acteurs. Tomoko Yamagushi est choisie pour incarner Lisa, Yûki Amami pour Gran Mamare et George Tokoro pour Fujimoto. Seul Kazushige Nagashima, qui double Kôichi, n’est pas un acteur mais une ancienne star du baseball reconvertie. Cependant, le personnage est si secondaire qu’il ne peut être un « argument de vente » auprès du public. Deux jeunes acteurs débutants, Yuria Nara et Hiroki Doi, doublent respectivement Ponyo et Sôsuke, leur insufflant toute l’énergie et la spontanéité de leur âge.

La musique

Ponyo sur la falaise ne serait sans doute pas le même film si Hayao Miyazaki n’avait pas écouté de manière intensive La Walkyrie de Richard Wagner. Il expliquera par la suite à ses collaborateurs que cette musique faisait circuler de l’adrénaline dans ses veines. La naissance et le lyrisme de la séquence centrale du tsunami, durant laquelle Ponyo et Sôsuke vont se retrouver, existe, de l’aveu même du réalisateur, parce qu’il a écouté la musique de ce compositeur.

La bande originale du film est réalisée comme à chaque fois pour un film de Miyazaki par Joe Hisaishi. En dehors de la fameuse scène du tsunami où les cuivres rappellent l’influence wagnerienne, le ton se veut très simple, comme un écho à la simplicité des traits. Le thème principal est joyeux, presque malicieux, comme Ponyo elle-même. Cependant on peut regretter un choix musical un peu trop illustratif et moins varié que pour Mon voisin Totoro ou Princesse Mononoke.

Joe Hisaishi a également composé les deux chansons du film. La première s’intitule Mer, notre mère. Au Japon les chansons sur la mer décrivent souvent celle-ci comme un paysage. Pour Ponyo, Miyazaki voulait, lui, une chanson totalement nouvelle, qui rompt avec cette tradition. Ainsi la chanson sur la mer est ici chantée par la mer elle-même. Un jour, Miyazaki découvre un poème de Wakako Kaku où la mer prenait la parole et va fortement s’en inspirer pour créer cette chanson.

La deuxième chanson a été écrite par Katsuya Kondô et s’intitule tout simplement Ponyo sur la falaise. Cette rengaine adorable est chantée par le duo Fujioka Fujimaki et Nozomi Ôhashi. Son air enfantin et répétitif lui donne un entrain qui n’est pas sans rappeler l’hymne des maternelles japonaises qu’est devenu la chanson de Mon Voisin Totoro.

Les secrets du générique de fin

Les spectateurs les plus attentifs (et surtout ceux qui seront restés jusqu’au bout du film) auront surement remarqué la nouvelle forme des crédits du générique de fin de Ponyo sur la falaise. Pour ceux qui ont eu l’occasion de se rendre au musée Ghibli pour voir l’un de ses courts métrages exclusifs, cette nouvelle présentation pour un long métrage n’était pas une découverte, puisque c’est depuis la création de ces courts que Hayao Miyazaki a instauré ce modèle de générique.

C’est le 5 mai 2009 (le jour des enfants au Japon), à l’occasion d’une projection publique de Ponyo sur la falaise, à Shimanto, une petite ville rurale en préfecture de Kôchi, que le réalisateur s’est exprimé sur les particularités du générique de fin de son film.

« Généralement, les crédits du générique de fin des films récents sont très longs. Parfois un nombre incalculable de noms défilent sur un simple fond noir. Même sur nos films, ce sont plus de 400 personnes qui travaillent dessus et voir tous ces noms défiler prendrait à chaque fois au moins 5 minutes. Si le thème du film est joué en même temps, il sera surement trop court et Joe Hisaishi devra alors rallonger le morceau artificiellement. Désolé pour lui... (Rire)

Vous savez, si vous vous rendez à l'étranger et que vous allez voir un film là-bas, quand les crédits du générique de fin commencent à défiler, les lumières de la salle se rallument et la quasi-totalité des spectateurs quitte leurs sièges. Les seuls à regarder la fin du générique sont finalement souvent les parents des collaborateurs du film, à la recherche du nom de leur fils ou de leur fille.

Même si nos films sont faits pour les plus petits, les crédits du générique de fin doivent également refléter son style. La première version du générique de fin de Ponyo faisait 1 minute et 50 secondes. J'ai dû forcer 400 noms à rentrer dedans, ainsi j'ai dû éliminer toute forme de hiérarchisation et j’ai juste classé les noms par ordre alphabétique (NDT : non pas dans l’ordre de l’alphabet latin, mais dans l'ordre du modèle japonais : A, I, U, E, O).

Même les noms des entreprises n'ont pas été placés en position dominante. Des grandes entreprises comme Tôhô et NTV aux minuscules studios comme Anime Torotoro, tout a été classé alphabétiquement. J'ai même ajouté les noms de l’équipe d’entretien de notre studio ainsi que ceux du personnel de notre crèche interne. Et, dans un espace laissé vierge, j'ai ajouté les noms de Shachi, Makkuro et Ushiko, les trois chats qui ont élu domicile dans nos locaux, que nous avons trop nourris et qui au final, sont devenus trop gros.

En conclusion, chaque membre du personnel qui a vu les crédits de fin a été très satisfait de celui-ci. C'est un modèle avec lequel personne ne peut se plaindre au sujet de l'ordre, de la taille des caractères ou de la hiérarchie des postes. Je suis fier d'avoir adopté ce modèle et nous le maintiendrons dans de futurs films.

Comme vous avez pu le voir, certains de nos collaborateurs principaux et les doubleurs ont leurs noms crédités dès le générique d'ouverture. C'est parce qu'ils œuvrent grâce un talent spécial et j'ai pensé qu'ils devaient bénéficier d’une juste considération, d'une autre manière. »