Entretien avec Hitomi Tateno :
Débuts professionnels
Tout d’abord, merci pour avoir accepté cet entretien. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer pourquoi avoir choisi de travailler dans l’animation.
Bonjour, je m’appelle Hitomi Tateno. C’est lorsque j’étais au lycée que j’ai décidé de devenir animatrice en regardant sur NHK la série Conan, le fils du futur réalisée par Hayao Miyazaki. Depuis toujours, j’adorais l’animation. Déjà toute petite, je regardais n’importe quel anime. Mais c’est vraiment avec Conan que j’ai reçu un électrochoc, grâce à la qualité de cette série et des merveilleux mouvements de ses personnages. Tout s’est mis en place dans ma tête d’un seul coup. La série était différente des autres anime que je regardais alors. Jusque-là, je ne pensais pas devenir animatrice professionnelle. Je savais que c’était un travail difficile et je pensais que je n’étais pas assez bonne en dessin pour cela. Mais j’ai voulu exercer ce métier pour la première fois en regardant cette série. Ce fut le premier pas.
C’est en dernière année de lycée, au moment où je devais choisir mon orientation, que j’ai réfléchi où aller pour y parvenir. Il existait plusieurs chemins pour apprendre l’animation. J’avais entendu dire que l’on pouvait directement entrer dans un studio juste après ses études au lycée, mais j’habitais à la campagne et il m’était difficile de fréquenter un studio quotidiennement. Je me suis donc orientée vers une école spécialisée. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup d’établissements qui proposaient de spécialisation dans ce domaine. Toutefois, il existait plusieurs signes avant-coureurs que le boom de l’animation allait commencer. De nos jours, le mot otaku est entré dans le langage courant, mais c’est au début de son apparition que j’ai décidé de m’orienter vers l’animation. Avec la diffusion d’Uchû Senkan Yamato (Yamato, 1974), c’était vraiment le moment de l’éclosion de la culture otaku au Japon et je faisais partie d’eux.
Quelle établissement professionnel avez-vous finalement choisi pour apprendre l’animation ?
Je suis entrée dans une école de design qui s’appelle Tokyo Designer Gakuin College. C’était vraiment le début du boom de l’animation et j’avais beaucoup de camarades qui s’orientaient dans ce domaine après avoir vu les mêmes œuvres animées.
Mais cet établissement était une école de graphisme et de design et je ne suivais pas seulement des cours d’animation. Il y en avait beaucoup moins que dans les écoles actuelles et je doutais fort que ce soit suffisant pour devenir animatrice.
Comme épreuve de fin d’étude, nous avions finalement créé un film d’animation, mais les tâches étaient partagées et je n’ai pas pu beaucoup dessiner. Je manquais de confiance en moi dans la pratique du dessin et j’étais anxieuse jusqu’à la fin de mes études. A cette époque, dans les écoles, il y avait quelques professionnels de l’animation, mais leur enseignement n’était pas aussi satisfaisant que maintenant.
J’ai terminé mes études dans cette école au bout de deux ans, puis je suis entrée dans un petit studio d’animation. C’était vraiment une petite structure qui se trouvait à Shimoigusa dans l’arrondissent de Suginami (Tôkyô). Mon premier travail d’animation était sur la série TV Uchû Senkan Yamato III (1980/1981). On m’a appris le traçage et j’ai travaillé sur un plan de M. Yoshinori Kanada, un animateur singulier (NDT : qui travaillera pour le studio Ghibli ultérieurement). Il est depuis décédé, mais à cette époque, tout le monde l’adorait et voulait lui ressembler. C’était un plan magnifique de mecha.
Comment rejoignez-vous le studio Telecom Animation ?
Mon studio était un studio de sous-traitance pour diverses œuvres de Tokyo Movie Shinsha (TMS) et Nippon Animation. J’ai travaillé sur des projets vraiment variés, mais ce que je voulais c’était travailler sur ceux du réalisateur Hayao Miyazaki. Et je m’en sentais encore loin.
Le studio où travaillait M. Miyazaki était déjà renommé. Je ne pensais pas être à son niveau et je voulais progresser. Pour cela, je travaillais dur quotidiennement. Je savais aussi que travailler dans une grande entreprise n’était pas forcement le meilleur moyen pour s’améliorer, mais j’étais jeune et je rêvais de rentrer dans telle structure pour apprendre plutôt que de continuer à le faire seule.
Un jour, j’ai discuté avec un chef de projets de TMS venu livrer des plans. A cette époque, M. Miyazaki travaillait pour Telecom Animation avec M. Takahata et M. Yasuo Ôtsuka. C'était le studio que tout le monde admirait. Si vous étiez animateur, alors vous vouliez travailler là-bas. Il y avait des gens charismatiques dans chaque structure, et pour moi, c’était ces trois figures. C’est pour cette raison que je rêvais d’y travailler.
Telecom était affilié à TMS. Son patron, Yutaka Fujioka, était le même. J’ai donc parlé à ce chef de projet de mon envie de travailler pour Telecom. Et il m’a répondu qu’il était peut-être possible d’être embauché pour des gens déjà dans le milieu. A cette époque, je n’étais pas si bonne que ça et je lui ai fait part de mes doutes. Mais il m’a gentiment proposé d’organiser une rencontre avec M. Ôtsuka.
Je suis donc allée le voir avec des travaux de clean et d’intervallage que j’avais redessinés. M. Ôtsuka est quelqu’un de très amical. Il a regardé ce que j’avais préparé en me disant : « C’est bien. » Évidemment je n’ai pas été engagée ce jour-là, mais il m’a conseillé de passer le concours qui allait être annoncé dans le magazine consacré à l’animation, Animage.
Ce que j’ai fait. J’ai préparé un dossier en y mettant toute mes forces, et sans aucune certitude d’être engagée, je l’ai envoyé. Finalement, celui-ci a été sélectionné grâce aux recommandations de M. Ôtsuka. J’ai donc passé l’examen pratique et l’entretien d’embauche. Encore à ce stade, je me disais qu’il y aurait beaucoup de gens talentueux et que je ne serai pas prise. Mais M. Ôtsuka était peut-être une personne de parole et j’ai été engagée.
C’est plus tard que j’ai su qu’il y avait eu des candidats qui n’avaient pas été pris justement parce qu’ils étaient déjà trop bons. Deux personnes aussi avaient été sélectionnées mais avaient finalement décidé de ne pas rejoindre le studio. Je pense que ce n’est pas indiscret de vous donner leurs noms. Il s’agissait de M. Mahiro Maeda et M. Yoshiyuki Sadamoto, connus pour leur travail sur Evangelion (1995). Ce sont deux grands talents qui voulaient encore réfléchir. S’ils avaient accepté à ce moment-là, nous aurions rejoint le studio en même temps. M. Sadamoto l’a finalement rejoint plus tard dans l’année. C’est une histoire curieuse, car après avoir occupé le poste de directeur de l’animation, il a finalement choisi de recommencer à zéro en entrant à Telecom...
Vous rencontrez pour la première fois Hayao Miyazaki et Isao Takahata au studio Telecom. Quels sont vos souvenirs de travail avec ces deux réalisateurs à cette époque ?
La période pendant laquelle j'ai pu travailler avec M. Miyazaki et M. Takahata à Telecom fut très courte. A cette époque, M. Miyazaki travaillait sur le projet de long métrage Nemo. J’ai cependant connu une expérience agréable avec lui et M. Yoshifumi Kondô sur la série TV Sherlock Holmes.
M. Miyazaki voyageait souvent entre le Japon et l’étranger avec d’autres animateurs clés. Cette période a duré longtemps et il faisait plein de choses en même temps. De mémoire, j’ai directement travaillé avec M. Miyazaki et M. Takahata jusqu’à la création du pilote de Nemo. Mais M. Miyazaki a quitté le studio en plein milieu du projet en disant qu’il voulait vraiment réaliser le long métrage d’animation tiré de son manga Nausicaä de la Vallée du Vent déjà publié.
Il est donc parti. Plus tard, M. Kondô a créé un second pilote pour le projet Nemo que je trouve très beau et sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler. Mais les départs étaient de plus en plus fréquents. M. Takahata est parti aussi. M. Ôtsuka est resté plus longtemps. Mais la situation de l’entreprise a changé. Il a eu de plus en plus de collaborations avec l’étranger et les tâches de plus en plus partagées entre collaborateurs du studio. Je ne pouvais plus travailler sur un plan toute seule. Tout était séparé en plusieurs morceaux et distribués à différentes personnes pour gagner du temps. C’était devenu une usine. L’animation est un travail artisanal et l’envie de travailler sur un plan toute seule est devenue la plus forte. J’ai donc finalement quitté Telecom juste avant de finir ma 5ᵉ année.
L'opportunité est venue de Yasuko Tachiki, mon senpai, qui avait quitté Telecom quelques temps auparavant. Elle travaillait à la vérification de l’animation du long métrage Mon voisin Totoro et elle m’a proposé de l’assister.