Mis à jour : dimanche 19 juin 2022

Succès et quête d'une relève

Les triomphes de Miyazaki

Après avoir terminé Si tu tends l'oreille début 1995, le studio Ghibli démarre la production de son onzième film, Mononoke Hime (Princesse Mononoke). Pour cette nouvelle réalisation de Hayao Miyazaki, il est prévu d'utiliser encore plus l'outil informatique. Une équipe spécialisée dans l'infographie est donc montée et le studio investit dans de nouvelles stations de travail. Conséquence, le budget alloué à Princesse Mononoke est le double de toutes les productions précédentes ! En même temps, Ghibli inaugure une école d'animation dans le but de détecter et former les nouveaux réalisateurs qui prendront la suite de Yoshifûmi Kondô. Isao Takahata en est le formateur.

Princesse Mononoke va monopoliser tout le personnel pendant plus de deux ans. Miyazaki, inquiet de mettre en péril la pérennité du studio avec ce qu'il considère comme un pari très risqué, s'investit comme jamais. A la sortie du film, Miyazaki, épuisé, déclare qu'il met un terme à sa carrière. L'annonce fait l'effet d'une bombe et le film atteint rapidement la première place au box-office national, toutes productions confondues. Elle dépasse E.T., jusqu'alors détenteur du record d'entrées.

Princesse Mononoke est également le film de la reconnaissance mondiale : suite à l'accord Tokuma-Disney, Ghibli exporte le film dans de nombreux pays. Même si les résultats en salles ne sont pas comparables avec ceux du Japon, la critique internationale est enthousiaste.

Butaya / Nibariki, société de production de Hayao Miyazaki, même adresse.

Fin 1997, Miyazaki se fait construire son propre petit studio, une maison tout en bois à coté du studio principal, qu'il a nommée Butaya (« la maison du cochon »). Selon ses propres termes, elle aurait dû lui servir de « maison de retraite », car en janvier 1998, Miyazaki se retire officiellement du studio... Malheureusement, quelques jours après l'annonce, Yoshifumi Kondô décède tragiquement. Miyazaki, ayant perdu son sucesseur désigné, fait donc son retour au studio un an plus tard.

Pendant ce temps, l'utilisation de l'outil informatique, largement éprouvée sur Princesse Mononoke, devient systématique dans le nouveau film de Takahata, Hôhokekyo Tonari no Yamada-kun (Mes voisins les Yamada), et le studio a d'ores et déjà annoncé qu'il n'utilisera plus de cellulos pour ses films... Le résultat est un OVNI dans la production animée japonaise et le succès n'est pas complètement au rendez-vous (le film rentrera quand même dans ses frais).

Depuis 1999, deux nouveaux bâtiments sont construits, preuve que le studio ne cesse de se développer (ce genre de travaux d'extension est très cher au Japon). Cet élargissement des locaux ne découle pas seulement d'une augmentation des effectifs, mais aussi et surtout de l'informatisation du studio, le matériel prenant beaucoup de place.

En juillet 1999, Miyazaki donne un conférence de presse dans sa Butaya. Il y présente les plans du futur musée entièrement dédié à l'animation, le Museo d'Arte Ghibli (« le musée d'art Ghibli » en italien). Construit dans le parc Inokashira dans la forêt de Mitaka (Tôkyô), le musée retrace les différentes étapes de la conception d'un film et diffuse des courts métrages exclusifs réalisés par Miyazaki. Comme d'habitude, Miyazaki s'investit personnellement dans le projet en allant jusqu'à dessiner les plans et l'aspect précis de l'ouvrage qui ouvre en octobre 2001.

Entre-temps, le studio travaille sur le nouveau long métrage de Miyazaki : Sen to Chihiro no Kamikakushi (Le voyage de Chihiro). Le réalisateur avait pourtant annoncé à la sortie de Princesse Mononoke que, vieillissant, il ne se sentait plus capable de se lancer, une fois encore, dans une expérience aussi longue et pénible. Revenant sur sa décision, il consent cette fois à déléguer une grande partie du travail qu'il réalisait habituellement.

Hayao Miyazaki au Festival de Berlin.

Le voyage de Chihiro sort en juillet 2001, provoquant un véritable raz-de-marée. Il bat, comme Princesse Mononoke l'avait fait, tous les records dans les salles (23 millions de spectateurs verront le film qui rapportera 30 milliards de Yens !). De quoi être rassuré sur l'avenir financier du studio ! Le triomphe dépasse les frontières, puisque Chihiro est aussi le film de la consécration pour Miyazaki à l'étranger : il remporte de nombreux prix (Ours d'Or au Festival de Berlin, Oscar du meilleur film d'animation...) et obtient ses meilleurs résultats en salles à ce jour.

Après Le voyage de Chihiro, Miyazaki se concentre essentiellement sur la réalisation de courts métrages pour le musée Ghibli, lui permettant de s'investir dans des projets moins longs, et donc moins difficiles et fatigants. Pendant cette période, bien qu'officiellement il demeure employé au studio Ghibli, Takahata s'implique dans des projets personnels, hors du studio, comme l'œuvre collective Fuyu no Hi (Jours d'hiver), sortie en 2003.

En quête d'une relève

La question de la relève au sein du studio Ghibli pose toutefois toujours un problème, car depuis le décès de Yoshifumi Kondô, personne ne semble être apte à succéder aux deux réalisateurs. La voie semble pourtant libre pour de nouveaux talents au sein du studio. Ainsi, dès septembre 2001, le studio Ghibli annonce qu'il travaille sur deux nouveaux projets de film. Le premier doit être un moyen métrage par Hiroyuki Morita et le second, un long métrage par (Digimon, le film et plus tard, La traversée du temps et Summer wars), montrant que la place est à la relève. Le moyen métrage devient au final le long métrage Neko no Ongaeshi (Le Royaume des chats). Il sort comme prévu pendant l'été 2002 et, projeté avec le court métrage Ghiblies - Episode 2, réalisé par Yoshiyuki Momose, remporte un joli succès.

Le film de Hosoda, en revanche, prend du retard. En juin 2002, le jeune réalisateur, en désaccord avec les pontes du studio, jette finalement l'éponge. Le projet est un temps abandonné et le poste de réalisateur reste vacant... Avant que Miyazaki décide de reprendre le rôle de réalisateur. Voyant de nombreux employés démoralisés par les mois de travail inutiles (Miyazaki repartant à zéro !), le studio ferme pendant six mois, leur permettant de se reposer ou de s'investir dans d'autres projets... Ce n'est donc qu'en février 2003 que le travail reprend à Ghibli pour la production de Hauru no Ugoku Shiro (Le château ambulant).

Yoshiyuki Momose, Hiroyuki Morita et Mamoru Hosoda.

Malgré une relative absence de promotion (Miyazaki pensait qu'il y avait eu trop de publicité pour Le voyage de Chihiro), le film est de nouveau un immense succès à sa sortie en novembre 2004. Comme Chihiro, il est distribué dans de nombreux pays, contribuant à la popularité croissante du réalisateur en dehors du Japon.

En 2005, le studio Ghibli prend son indépendance en quittant Tokuma Shoten. Les succès phénoménaux des trois derniers films de Miyazaki ont permis de renflouer les dettes du groupe Tokuma, et désormais, Ghibli peut être totalement indépendant.

Cette même année, à la surprise générale, Toshio Suzuki annonce que la prochaine production Ghibli, Gedo Senki (Les contes de Terremer), est confiée à Gorô Miyazaki, le fils aîné du maître. Celui-ci n'est pas réalisateur de formation, mais son poste de directeur du musée Ghibli aurait fait naître chez lui une véritable vocation. Hayao Miyazaki, qui souhaitait lui aussi adapter cette œuvre, fait clairement savoir qu'il ne soutient pas le projet. Le film est réalisé en un temps record, 8 mois et 17 jours pour terminer l'animation du film, à comparer aux 17 mois pour Le château ambulant ou pour Le voyage de Chihiro ! En 2006 sort donc Les contes de Terremer, adaptation d'un ouvrage de l'auteur Ursula Le Guin. On assiste alors à une énorme promotion dans les médias japonais, qui choisissent d'insister sur le désaccord entre le père et le fils Miyazaki. Le film rencontre un succès honorable, mais les critiques de la presse et des spectateurs sont mitigées.

Hayao Miyazaki, quant à lui, réalise son désir : refaire un film à destination d'un public très jeune. En 2006, il se lance dans la réalisation d'un nouveau long métrage, Gake no Ue no Ponyo (Ponyo sur la falaise). Là encore, il choisit de ne rien dévoiler sur le film avant sa sortie. Celui-ci sort en juillet 2008 dans 481 salles, un record pour une production nationale. Le succès semble au rendez-vous, d'autant que les critiques accueillent favorablement le film.

Deux autres annonces importantes sont faites durant cette année 2008 : l'ex-président de Walt Disney Japon, Kôji Hoshino (qui a également été producteur exécutif du Voyage de Chihiro et du Royaume des chats), remplace Toshio Suzuki à sa présidence. Désormais, Suzuki va entièrement se consacrer à son travail de producteur et de membre du conseil d'administration du studio.

Suzuki annonce également que deux films seront confiés à deux jeunes réalisateurs, suivi d'un film de Miyazaki à gros budget. Le premier long métrage sera Karigurashi no Arrietty (Arrietty, le petit monde des chapardeurs). La réalisation est cette fois confiée à Hiromasa Yonebayashi (surnommé « Maro ») qui travaille depuis douze ans au sein du studio Ghibli. Comme pour Gorô Miyazaki, les contraintes sont assez importantes : délai de réalisation court, présence de Miyazaki à plusieurs étapes du film, pressions diverses sur le jeune réalisateur... Le film sort le 17 juillet 2010 au Japon, bénéficiant d'une belle promotion et d'un accueil favorable.

Hiromasa Yonebayashi et Gorô Miyazaki.

Le deuxième film, contre toute attente, est signé Gorô Miyazaki. Intitulé Kokuriko-zaka Kara (La colline aux coquelicots), il s'agit cette fois d'un film dans la veine dite « réaliste » du studio. La réalisation sera là encore très courte, avec comme handicap supplémentaire sur la production et la promotion du film, les conséquences des catastrophes de mars 2011 survenues au Japon. Celui-ci sort le 16 juillet 2011 et reçoit cette fois un accueil nettement plus favorable des critiques et du public que Les contes de Terremer.

La fin du studio Ghibli ?

Parallèlement à cette réalisation, Miyazaki père continue de réaliser divers courts métrages pour le musée Ghibli, allant même jusqu'à emprunter les animateurs travaillant sur les longs métrages. Puis, il se lance dans la réalisation de son onzième (et finalement ultime) long métrage, Kaze Tachinu (Le vent se lève). Isao Takahata, de son côté, travaille depuis 2006 sur un autre projet ambitieux de long métrage, Kaguya-hime no Monogatari (Le conte de la princesse Kaguya), mais des problèmes de santé mettent un frein à la production qui ne redémarrera véritablement qu'en 2011.

Cette année là, le studio Ghibli, confiant sur l'aboutissement des deux projets, annonce une sortie simultanée des deux films, comme en 1988 pour Mon voisin Totoro et Le tombeau des lucioles. Mais la production du film de Takahata prend du retard et Le conte de la princesse Kaguya sortira finalement 3 mois après Le vent se lève. Ce dernier connait un immense succès, malgré quelques controverses d'ordre politique, tandis que le dernier chef-d'œuvre de Takahata, pari artistique osé, s'avère un échec commercial malgré un accueil critique dithyrambique.

Peu après la sortie du Vent se lève, Miyazaki annonce, à la surprise générale, sa retraite en tant que cinéaste. Il est également fort probable que Le conte de la princesse Kaguya soit l'ultime long métrage de Takahata (âgé de 77 ans à sa sortie), bien que le réalisateur a déclaré vouloir encore faire des films si un producteur lui en donnait les moyens.

Toshio Suzuki et Hayao Miyazaki, le 6 septembre 2013,
lors de la conférence de presse pour l'annonce de la retraite du réalisateur.

En mars 2014, après avoir reçu, au nom de Miyazaki, le trophée du meilleur film d'animation aux Japan Academy Awards pour Le vent se lève, Toshio Suzuki annonce également qu'il prend sa retraite en tant que producteur. Il reste néanmoins au studio pour assumer une nouvelle fonction de « General Manager ». Il est remplacé par Yoshiaki Nishimura qui, après des débuts sur Le conte de la princesse Kaguya, se chargera donc de produire les prochains Ghibli, à commencer par Omoide no Mânî (Souvenirs de Marnie).

Parallèlement, Gorô Miyazaki réalise pour la NHK la série hybride 2D/3D Ronya, fille de brigand au studio Polygon Pictures. Au sein du studio Ghibli, Hiromasa Yonebayashi réalise son deuxième long métrage, Souvenirs de Marnie, sans aucune intervention de Hayao Miyazaki. Toshio Suzuki prévient : si le film n'obtient pas un franc succès au box-office japonais, l'avenir du studio Ghibli est compromis. Malheureusement, malgré un accueil critique plutôt favorable, le film de Yonebayashi peine à attirer les spectateurs. Suzuki annonce, le 3 août 2014, dans une émission de télévision japonaise, que le studio Ghibli arrête provisoirement la production de longs métrages, le temps d'opérer une restructuration.

Le département de production des longs métrages est démantelé. Ne sont conservés qu'une équipe réduite pour les petits projets de Miyazaki et le département Momonoma, dédié à l'animation de clips publicitaires et musicaux. Les artistes de ce département, dirigé par Yoshiyuki Momose, sont déjà en freelance, contrairement aux autres employés du département animation qui seront licenciés. Ghibli revient donc au modèle économique qui prévalait avant Porco Rosso et la mise en place d'une équipe permanente. En effet, le studio Ghibli n'est plus en mesure de payer son personnel sans les financements et les profits générés par la notoriété et le succès de Miyazaki et de Takahata.

Cette restructuration ne signifie pas forcément la fin des films Ghibli, mais en revenant à un système de production classique, ce seront les producteurs qui risquent d'avoir la main-mise sur les longs métrages, du choix du projet, au recrutement des équipes le temps de la production. On craint donc la disparition de ce qui faisait l'unité de Ghibli même sans Miyazaki et Takahata : l'équipe d'animateurs qui étaient salariés au studio et maintenaient donc une forme de cohésion artistique.

Avec cette annonce, trois scenarii sont possibles. Le premier est un arrêt définitif de la production de longs métrages faute de relève, le studio se consacrant essentiellement à la gestion des droits et au musée Ghibli. Le deuxième serait la reprise d'une activité cinématographique où le financier primera sur l'artistique et où le nom de Ghibli ne sera plus qu'un label évoquant un passé glorieux révolu. Enfin, peut-être qu'à l'image des grands studios d'animation comme Disney, il s'agira d'une transition nécessaire à l'avènement d'une nouvelle ère de créativité.