Mis à jour : mardi 11 octobre 2022

Arrietty, le petit monde des chapardeurs : Analyse

Arrietty, le petit monde des chapardeurs est un film paradoxal. Temps de réalisation court, mais ambition artistique réelle. Annonce de la véritable relève du studio, mais avec Hayao Miyazaki annoncé comme scénariste et superviseur. Originalité de la thématique et des musiques, mais de nombreuses références à ses prédécesseurs. De ces contradictions est né un premier film enthousiasmant, mais inégal, la première œuvre d'un réalisateur qui se cherche encore.

Un talent certain pour la mise en scène

Le film de Hiromasa Yonebayashi est certainement un film convaincant pour une première œuvre, mais est-il néanmoins à la hauteur d’un film du studio Ghibli, telle est finalement la question. Le film n’est pas exempt de qualités. Les scènes du début du film, avec la découverte du monde d’Arrietty, en sont la preuve. Jouant sur les différentes échelles de représentation et une verticalité de la mise en scène lors de l’ascension progressive des personnages le long de la maison, Yonebayashi donne le vertige dès les premières images. Les simples bruits du quotidien deviennent des machines étourdissantes et inquiétantes, à l’instar du bourdonnant et inquiétant frigo qui semble menacer la jeune et frêle Arrietty. Le talent est là, perceptible.

La découverte de la cuisine.

Il est confirmé par d’autres scènes très réussies, notamment lors des deux premières rencontres d’Arrietty et de Shô. Loin d’une banale découverte frontale de ces deux univers diamétralement opposés, Yonebayashi joue la carte de la subtilité et de l’intrigant. C’est ainsi que Shô découvre le petit peuple de la maison à travers la lumière mordorée d’une bougie et surtout la silhouette de la jeune fille à travers un mouchoir tendu. Les objets du quotidien deviennent alors poésie et Arrietty se mue en gracile ombre chinoise... Moment suspendu de la découverte, éphémère, sans cri, sans surprise. Tout simplement magique et poétique.

Jeux d'ombre lors des deux rencontres entre Shô et Arrietty.

La deuxième rencontre est tout aussi charmante et habilement mise en scène. Afin probablement de ne pas rompre le charme de la première « confrontation », Yonebayashi choisit là encore des artifices originaux. Arrietty se refusant toujours à être vue par Shô, elle se cache cette fois derrière la vitre de la chambre du jeune homme et n’apparaît là encore que comme une ombre. Elle se dissimulera ensuite dans le dos de Shô pour échapper à l’inquisitrice Haru. Yonebayashi fait fi de l’invraisemblance physique (la voix de Shô devrait être monstrueuse et celle d’Arrietty un simple couinement) et choisit résolument la poésie de la mise en scène. Jeu de cache-cache entre les deux protagonistes, cette rencontre toute en finesse est probablement une des belles réussites de ce film, portée par la musique envoûtante de Cécile Corbel.

Cette dernière propose une mélodie aux accents celtes qui n’est pas sans rappeler l’origine occidentale des Borrowers, même si le cadre choisi par Yonabayashi est résolument japonais. À la fois mélancolique et pleine d’énergie, cette mélodie est à l’image de ce couple condamné à ne pas vivre pleinement sa relation. À l’instar de Miyazaki, le jeune réalisateur choisit d’ailleurs une fin en demi-teinte, car si le jeune homme semble être hors de danger, si la famille d’Arrietty trouve un refuge et si leur race peut espérer une survie, on ressent la tristesse de la séparation entre ces deux mondes, celui des humains et celui du monde magique, comme un écho lointain à ses brillants prédécesseurs Princesse Mononoke ou Le voyage de Chihiro.

Le film ne comporte pas de faute de goût, les décors riches et foisonnants du jardin complètent à merveille le monde miniature et minutieux des chapardeurs. Yonebayashi crée une bulle de paix et de calme au sein de la ville, où les seuls éléments perturbateurs sont la volubile Haru et les inoffensifs et insignifiants dératiseurs. Dans le monde de Yonebayashi, on n’a jamais réellement peur, le danger est finalement vite oublié, même lorsque l’ombre de la maladie ou celle de la disparition des chapardeurs plane.

Le film a donc de véritables atouts et dénote un talent certain pour la mise en scène, a fortiori pour un premier film au sein de ce studio. Arrietty est plus convaincant et plus égal que Les contes de Terremer, plus ambitieux que Le Royaume des chats. Toutefois, le film souffre de quelques défauts non négligeables qui peuvent décevoir les fans du studio.

Une véritable relève au sein du studio Ghibli ?

Le personnage d’Arrietty est à l’image de toutes les héroïnes créées par Hayao Miyazaki : courageuse, charismatique, volontaire, elle incarne la fougue de la jeunesse et son impétuosité à merveille. Le film repose en grande partie sur ce personnage omniprésent, qui fait le lien entre le monde des humains et celui des chapardeurs.

Toutefois, on peut regretter que le personnage de Shô soit complètement en retrait. Certes, on sait très vite qu’une maladie l’affaiblit, mais le jeune homme ne captive pas le spectateur. Pire, on ressent même une certaine indifférence alors qu’il frôle la mort à la fin du film. Il faut dire que Hiromasa Yonebayashi choisir d’ouvrir le film sur une voix off, celle de Shô. Outre le fait que cette voix off ne réapparaîtra jamais dans le film, pas même à la fin, elle dévoile d’entrée de jeu que la vie du jeune homme ne sera finalement pas menacée et qu’il survivra à l’épopée. L’enjeu est donc moindre et rend de suite le sort du personnage moins palpitant. De plus, les réactions de Shô sont parfois inattendues et le rendent peu charismatique. Lors de la première véritable rencontre avec Arrietty, alors qu’il la découvre pour la première fois de visu, Shô s’emporte et lui annonce que la race des chapardeurs est sur le point de s’éteindre. Pourtant, les principaux concernés (et nous-mêmes spectateurs) ignorant presque tout de ce peuple minuscule, on voit mal ce qui pousse Shô à de telles invectives, lui-même découvrant tout juste l’existence de ce peuple.

Les personnages secondaires sont peu nombreux et tout aussi effacés. Les parents d’Arrietty incarnent le couple japonais caricatural, avec un père mutique, mais viril et une mère au foyer exaspérante et prompte à l’évanouissement facile. Le kidnapping de cette dernière est censé être l’acmé du film, mais son attitude horripilante rend l’enjeu du film moindre. On ne comprend guère les actes d’Haru et les raisons de sa malveillance.

Quant à Spiller, le chapardeur venu des bois, si son style évoque irrésistiblement Gimpsy dans Conan, le fils du futur, il n’en a ni le charisme ni le talent comique.

L'espèce des chapardeurs ne comporte que ces 4 personnages.

Il s’agit du souci principal d’Arrietty : tout est léger, trop léger. Le propos est certes charmant, mais les ressorts dramatiques sont faibles. On pourrait rétorquer que Mon voisin Totoro non plus n’a guère de suspens ou de scénario à rebondissement, néanmoins il ne joue finalement que très peu la carte du merveilleux et sublime les petits instants du quotidien. Yonebayashi, lui, choisit dès le début de voir le monde à travers les yeux d’Arrietty et donc du monde féerique et c’est le réel qui parfois se rappelle au spectateur. Il est en cela à l’opposé d’un Totoro. Or les détails de la vie des chapardeurs ne sont pas finalement si foisonnants. On sait peu de choses de leur quotidien, cloisonné dans leur minuscule maison, sans aucun autre personnage extérieur, sans aucune autre vie que la leur là où le livre proposait de décrire le quotidien de plusieurs familles de chapardeurs. On s’attendrait également à mille et une trouvailles concernant la réutilisation de nos objets quotidiens et l'on doit se contenter de quelques petits clins d’œil et découvertes visuelles. Tout reste en arrière-plan dans ce film, sans réelle ambition scénaristique, alors que tous les éléments sont réunis pour faire un grand film. On reste donc un peu frustré de ne voir que l’ébauche d’une intrigue, a fortiori quand de nombreux plans rappellent le travail des deux grandes figures du studio.

C’est là d’ailleurs le plus inquiétant concernant ce film et plus généralement l’avenir du studio. Évidemment, lorsqu’on regarde Arrietty, on sait immédiatement qu’on est devant un film du studio Ghibli. Thématique de la nature, peuple en perdition, character design reconnaissable, on sent que la patte du maître est là, omniprésente. Yonebayashi multiplie d’ailleurs les clins d’œil aux œuvres du studio japonais : la scène d’ouverture où un corbeau se chipote avec un chat évoque irrésistiblement Le Royaume des chats, la scène d’adieu et l’accolade affectueuse entre Arrietty et le félin est quasiment une citation de Mei et le chaton-bus, l’envol de Spiller dans sa cape de poil rappelle furieusement Pompoko et ses tanuki volants, sans compter des emprunts de mise en scène au Voyage de Chihiro (le jeu des champs/contrechamps, du rapprochement des gros plans et du décor mouvant lors des confrontations Arrietty/le chat et Haku/Zenîba).

Références inconscientes (?)

au Royaume des chats

et à Mei et le chaton-bus.

Ce qui est inquiétant, c’est que lorsqu’on lui demande confirmation de ces clins d’œil (1), Yonibayashi s’étonne et affirme n’avoir pas fait le rapprochement avec les œuvres précédentes du studio. Langue de bois ou réelle inconscience ? La question demeure. Si la deuxième hypothèse est confirmée, elle est préoccupante. Car dès lors, le studio est-il capable de faire de l’imitation de Hayao Miyazaki et de Isao Takahata, mais sans le véritable talent des deux maîtres nippons ? Auquel cas, est-ce dû à la scénarisation de Miyazaki qui baliserait trop le terrain pour l’équipe de réalisation ? À moins qu’il s’agisse d’une forme d’autocensure, où l’on s’interdirait toute originalité afin de rester fidèle à l’œuvre de Miyazaki et balayant ainsi d’un revers toutes les tentatives de renouvellements visuels de Takahata ? Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à la question « quelles sont vos influences artistiques ? » (2), Yonebayashi réponde « l’œuvre de Miyazaki » et déplore sa faible culture artistique, là où ses prédécesseurs au sein du studio se targuaient au contraire d’une grande connaissance de la littérature et de l’animation internationale. Quelle ambition a dès lors le studio Ghibli pour sa relève : s’agit-il de gérer un patrimoine, celui de Miyazaki, ou bien veut-on réellement laisser leurs chances à de jeunes réalisateurs ?

Arrietty, le petit monde des chapardeurs est assurément un film honnête et plaisant à regarder, avec de vraies réussites visuelles, mais son principal défaut réside finalement en sa faible prise de risque : sujet léger, thèmes déjà vus, mais surtout une absence de renouvellement artistique du studio. On espère toutefois que Hiromasa Yonebayashi saura prendre définitivement son envol et son indépendance lors de son prochain film, afin de proposer une réelle relève au sein du mythique studio.

(1) Conférence lors de l'avant-première à l'UGC des Halles le 30 novembre 2010
(2) Ibid