Mis à jour : mardi 11 octobre 2022

Arrietty, le petit monde des chapardeurs : Production

Origines du projet

Au début de l’été 2008, le producteur Toshio Suzuki et Hayao Miyazaki se sont livrés à un bras de fer pour décider quel serait le prochain film du studio Ghibli. Si le producteur et ancien président du studio avait déjà programmé un nouveau film, le réalisateur comptait bien défendre un autre projet qui lui tenait à cœur. Après maintes discussions, aucun des deux hommes ne semblait vouloir abandonner son projet au profit de l'autre. Mais au final, Toshio Suzuki finit par s’incliner face à son aîné :

« À l’époque, je prévoyais un autre projet et nous avons discuté de celui qui devait être choisi à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre nous n’auraient pas reculé, mais au final, j’ai du céder à mon aîné et le projet a été adopté. »

Cependant, Hayao Miyazaki porte déjà en lui le projet d’adapter le roman Les chapardeurs depuis bien plus longtemps que cet été 2008. Il y a environ 40 ans, Miyazaki a lu le livre et a déjà eu l’idée d’en faire un film alors qu’il n’était âgé que d’une vingtaine d’années.

« À cette époque, ce projet a déjà été pris en considération à la fois par Hayao Miyazaki et Isao Takahata », ajoute Suzuki. « Miya-san s’en est soudainement rappelé et m’a recommandé de lire le livre. Alors, pourquoi déterrer Les chapardeurs aujourd’hui me direz-vous ? À cette question, Miya-san a répondu : « La situation des karigurashi (chapardeurs) est très agréable. Ils s’intègrent simplement à notre époque actuelle. L’âge de la consommation de masse en est à sa fin dorénavant et l’idée de « l’emprunt » prouve l’avènement de celui-ci avec la crise. » »

Les chapardeurs de Mary Norton

The Borrowers (Les chapardeurs) compte cinq volumes parus entre 1952 et 1982 et la libre adaptation du studio Ghibli se limite au premier, paru en 1952 aux éditions Dent. Le livre obtint la médaille Carnegie cette même année. 55 ans plus tard, la même institution classa le livre parmi les 10 œuvres les plus importantes de la littérature enfantine pour les 70 années passées.

C’est l’éditeur Iwanami Shoten qui détient les droits du roman pour le Japon. Le studio Ghibli entretient de bonnes relations avec cet éditeur depuis Les contes de Terremer, qui détient aussi les droits de l’œuvre. Au Japon, la première traduction date de 1969 sous le titre Yukashita no Kobitotachi (Les petits hommes sous le plancher) et c’est sans doute celle-ci qu’a eue à l’époque Hayao Miyazaki entre les mains. Plusieurs rééditions virent ensuite le jour dans le pays et un total de 600 000 exemplaires du livre, au format poche ou relié, ont été vendus jusqu’à maintenant au Japon. Mais lorsque le studio Ghibli a annoncé qu’il allait adapter le roman en décembre 2009, l’éditeur s’est empressé de commander un nouveau retirage de 30 000 exemplaires.

Aussitôt après la décision d’adapter cette œuvre, le 30 juillet 2008, Miyazaki écrit la note d’intention relative au projet du film où il explique que l’action se déroule, non plus dans l’Angleterre des années 50, mais dans le Japon des années 2000. Plus exactement, l’histoire prend place dans les alentours de Koganei, ville où se trouve le studio Ghibli en banlieue de Tôkyô et dont les détails sont familiers. Il donne les grandes lignes de l’histoire et les traits de caractère principaux des personnages. Il précise également le but du film : « réconforter et encourager les gens qui vivent en cette période chaotique et préoccupante. » À propos de cette note d’intention, le producteur Toshio Suzuki a tenu à ajouter :

« Comme vous le voyez, le titre original prévu par Miya-san était Chiisana Arietti (La petite Arrietty), un changement courageux effectué par rapport au titre du roman original. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a dit qu’il aimait bien le son de « Arietti » et qu’il l’avait longtemps gardé en mémoire. Il avait aussi l’habitude de me parler de « la vie des chapardeurs », mais son titre n’y faisait pas référence. Quand je l’ai souligné, il a instantanément changé son titre pour celui actuel de Karigurashi no Arietti (Arrietty la chapardeuse). »

Pour autant, le réalisateur ne sera pas Miyazaki lui-même. Le choix se porte finalement sur Hiromasa Yonebayashi, jeune animateur de 36 ans qui travaille depuis 12 ans au sein du studio. De l’aveu même de Suzuki, il n’y avait pas de raison particulière pour cette nomination :

« Lorsque Miya-san et moi-même avons pris la décision de réaliser Arrietty, le petit monde des chapardeurs, nous étions en train de discuter des orientations à prendre pour l’histoire et soudainement, Miya-san m’a demandé qui devrait en être le réalisateur. Maintenant que je le connais mieux, je sais qu’il attend toujours des réponses concrètes, donc une idée a surgi dans mon esprit et sur un coup de tête j’ai dit : « Maro », le surnom de Yonebayashi au studio. En entendant ma réponse, Miya-san sembla être un peu surpris et renfrogné et je savais pourquoi : pour son propre projet de film à venir, il comptait lui aussi l’utiliser au poste d’animateur principal. Si Maro devenait réalisateur, Miya-san devrait donc se passer de lui.

Hiromasa « Maro » Yonebayashi

Nous avons demandé à Maro de nous rejoindre et lui en avons parlé. Bien sûr, il était très surpris. Sur le coup, mon idée était juste irréfléchie, mais maintenant je peux expliquer la raison qu’il y avait derrière cela. Hiromasa Yonebayashi est un animateur extrêmement qualifié et de grand talent. De plus, depuis qu’il a commencé à travailler sur la production, j’ai également fini par savoir qu’il avait suffisamment de talent en tant que réalisateur. En outre, c’est une bonne personne et il est aimé par tous au studio. Lorsque j’ai informé tout le monde sur sa nomination à la tête du projet, le studio a d’abord été surpris. Toutefois, tout le monde est maintenant d’accord sur ce choix. Bien qu’il existe de nombreux animateurs vétérans et plus âgés au studio, ils n’hésitent pas à l'aider. »

Le producteur Toshio Suzuki a rapporté que c’était là une promotion à laquelle il ne s’attendait pas. « Je me suis dit que c’était une bêtise, a expliqué Yonebayashi en rigolant après la fin de la production. Je n'avais aucune expérience avec l’e-konte (le storyboard), j'ai d’abord pensé que quelque chose n’allait pas bien dans la tête de M. Miyazaki et M. Suzuki (rire). Je pense qu’une personne qui choisit de réaliser un film doit avoir un message et des principes, mais ce n’est pas mon cas. J’ai donc décliné la demande. Alors, ils m’ont dit à l'unisson : « pas d’inquiétude, tout cela est déjà dans le livre original » (rires). Je m’y suis donc mis avant tout parce que je pensais qu'ils m'arrêteraient si mon travail était mauvais. »

Scénario et storyboard

En décembre 2009, dès la conférence de presse pour l'officialisation du film, la production était déjà bien avancée. Le scénario était prêt. Sommairement écrit par Hayao Miyazaki, ce dernier s'est ensuite adjoint la collaboration d'une co-écrivaine, Keiko Niwa, qui avait déjà travaillé sur Les contes de Terremer. Elle le rejoint pour ajouter quelques détails.

À ce sujet, le producteur Toshio Suzuki confesse que Miyazaki a écrit le scénario sans même relire le roman et il s'est uniquement fié à ses souvenirs. Selon lui, le réalisateur à une bonne mémoire mais il lui arrive néanmoins de faire souvent des fautes de lecture et de réinterpréter les choses ou de donner de l'importance à des détails négligeables. Par exemple, s'il y a un joli jardin dans le livre, comme c'est justement le cas dans Les chapardeurs, il va instantanément adorer. « Il aime vraiment les jardins », explique-t-il. « Et ceux qui sont à l'abandon ont encore plus ses faveurs. Si bien qu'il a d'abord fait un plan du jardin avant de se lancer dans le scénario d'Arrietty. »

De son côté, à la même période, Hiromasa Yonebayashi avait intégralement terminé l’e-konte se basant sur le scénario de Miyazaki. L’élaboration de ce document, qui oriente ensuite toute la production du film, a été l’une de ses toutes premières difficultés en tant que réalisateur. « C’est la première fois que je dessinais un storyboard », explique-t-il. « Même si je me sentais un peu perdu, j’ai commencé à dessiner en me disant que je pourrai toujours demander de contrôler mon travail. Quand j’ai voulu le montrer à M. Miyazaki, il m’a répondu qu’il ne le souhaitait pas. Ça m’a angoissé car si il avait accepté de le contrôler à ce moment-là, le film n’en aurait été qu’encore meilleur. »

Lors de l’entrevue finale entre Miyazaki, Suzuki et le jeune réalisateur, précédent le début de la production de l’animation, Yonebayashi n’apporte finalement pas son travail au maître car « ça aurait finalement pris deux fois plus de temps et, au final, ça n’aurait fait qu’impacter la production même. Finalement, c’était une bonne chose d’avoir eu une liberté totale. » Miyazaki ne s’en vexe pas et au contraire le félicite pour sa fermeté. Au total, Yonebayashi aura passé 5 mois en solitaire à dessiner 996 plans à lui seul.

Une page de l'e-konte dessiné par Hiromasa Yonebayashi.

Comme l’explique Suzuki, dans les films du studio Ghibli, tout est orienté par ce document de production et tout dépend de lui. L'e-konte intégralement finalisé avant le début du travail sur l’animation, dès lors, la production de d’Arrietty tranche déjà radicalement avec les dernières productions dirigées par Miyazaki, qui préfère travailler sur une histoire dont il ignore encore la fin.

« Chez Ghibli, nous avons deux manières de faire du cinéma », explique Suzuki. « La première est que ce soit un réalisateur qui dirige tout, l’autre est que ce soit le projet qui prime. Dans ce cas, c’est un producteur qui dirige et le projet Arrietty doit prévaloir, d’autant que nous ne pouvons difficilement recommander la façon de travailler de Miyazaki à un réalisateur débutant. »

Une production marquée par de fortes contraintes de délais

Très tôt, au studio Ghibli, tous sentent que les délais seront serrés. Dès la conférence presse de décembre 2009, la question des délais de production est déjà posée à Toshio Suzuki : « Pour être franc, je ne préfère pas qu’on me pose cette question », explique t-il alors. « Sans doute, le film va avancer lentement et Maro, lui, devra être rapide. Lorsque la nouvelle année sera là, nous n’aurons déjà plus beaucoup de temps. » La pression et le doute sur les capacités du jeune réalisateur étaient telles que le producteur crut bon d’ajouter : « Maintenant, je sais que vous vous demandez pourquoi M. Yonebayashi n’assiste pas à cette conférence de presse. Et bien c’est parce que M. Miyazaki lui a recommandé de ne pas se montrer en public. Selon lui, la réalisation d’un film peut fondamentalement prendre deux directions : soit être produit avec succès, soit finir par être mis en suspens. Parfois même, il peut aussi purement être annulé à mi-chemin. N’oublions pas qu’il est juste débutant en tant que réalisateur. Si la production n’aboutie pas, il risque d’être humilié publiquement. Le mieux pour lui est de ne pas en parler en public pour l’instant. »

Toshio Suzuki lors de la conférence de presse annonçant la production d'Arrietty en décembre 2009.

C’est au détour d’une vidéo, postée sur le blog du film par Junichi Nishioka au milieu du mois de février 2010, qu’est évoquée une première période d’incertitude que subit l’équipe du film liée au manque de temps. Hayao Miyazaki lui-même intervient avant le blogueur (ce qu’il ne faisait jusqu’à présent jamais) pour afficher son inquiétude à propos de l'avancement de la production.
La date de sortie s’approche jour après jour et la tension se fait de plus en plus sentir sur le moral et la santé de l’équipe. Tout le monde est fatigué et notamment les directeurs de l’animation Megumi Kagawa et Akihiko Yamashita mais aussi Yôji Takeshige, le directeur artistique. Cependant, la date de sortie d'Arrietty est déjà fixée au le 17 juillet 2010, il est donc inenvisageable de la repousser.
En date du 18 février 2010, sur les 995 plans prévus pour la totalité du film, 332 plans sont prêts. Ce qui équivaut à environ un tiers du film.

Hayao Miyazaki et Junichi Nishioka confirmant sur le blog officiel du film
les contraintes de délai que va subir l'équipe de production.

Les 10 et 15 mars, deux nouvelles vidéos annoncent qu'à deux mois de l'échéance, l’équipe des dessins est surchargée. Malgré tous les efforts consentis, il y a beaucoup de choses qu’elle doit malheureusement abandonner, notamment les corrections des dessins effectuées par le directeur de l’animation. Beaucoup d’animateurs tombent malade ou se blessent (selon Megumi Kagawa, une des raisons principales est le vieillissement des animateurs du studio). Cependant, en ce qui concerne la qualité de l’animation, Yonebayashi peut heureusement compter sur sa seconde directrice de l’animation. Kagawa travaille en tant qu’animatrice pour le studio Ghibli, avant même sa création, depuis Nausicaä de la Vallée du Vent. Avec plus de 25 ans d’expérience, elle connaît précisément les œuvres du studio, ce qui fait d’elle une spécialiste du style graphique Ghibli.

Les nouvelles postées un peu plus d’un mois après, se veulent plus rassurantes. Le 20 mars 2010, le studio dispose maintenant de 45 minutes, 5 secondes et 9 cs d’animation finalisée, ce qui correspond à peu près à la moitié du film (490 plans filmés soit 49,2 % de la totalité du film). Nishioka est plutôt confiant, car en comparaison avec la production de Ponyo sur la falaise, à la même période, ce chiffre est miraculeusement plus élevé. Il pense que si l’équipe continue d’avancer comme cela, le film sera prêt dans les temps.

Finalement, après qu’une dernière vidéo consacrée à l’avancement de la production, le 18 avril, annonçant que 634 plans étaient maintenant filmés (soit 63,7 % de la totalité du film), Junichi Nishioka annonçait sur le blog que la production de l’animation d’Arrietty s’était achevée le 29 mai 2010. Sur une période d’un an, c’est 74 761 feuilles de dessins qui auront été dessinées et noircies par l’effort commun des animateurs du studio pour que le film soit en salles à la date prévue. A cette date, l’enregistrement des voix était déjà terminé et la finalisation de la bande son était prévue pour la fin juin.

L'avant-première du film pour l’équipe de production a également eu lieu à la fin du mois de juin et une projection de presse a eu lieu le 1er juillet au Tokyo International Forum Hall. Miyazaki n’a rien vu du film jusqu’à l’avant-première. C’était sa façon à lui d’encourager l’équipe. « Je ne veux donc pas intervenir, même s’il est plus jeune que moi. »

« Je pense qu’il a bien fait son travail malgré une carrière aussi jeune », commente Kagawa. « Comme on ne communique pas forcément beaucoup dans notre métier, on n’est pas très doué pour choisir les mots exacts pour expliquer les choses. Pourtant Maro a fait beaucoup d’efforts malgré sa brève carrière. Alors, je le félicite ! »

Promotion et réception du film

La prévente des billets du film débute le 17 avril 2010 au Japon. Un livret est offert pour chaque place achetée (deux livrets furent prévus à l'origine, d'où le « 1 » noté sur celui offert). Il s’agit d’un mini Art-of mélangeant recherches de personnages et de décors. Grâce à ce petit geste, la prévente a été un franc succès : 50 000 billets furent vendus 30 jours avant la première, soit 3 fois plus que pour Ponyo sur la falaise.

C’est à partir du 1er juillet que la communication autour du film commence à s’intensifier au Japon. Participant à cette promotion, un concert de Cécile Corbel est organisé. Elle participera ensuite à un festival de musique en août.

Le studio Ghibli crée une réplique à l'échelle 1/12ᵉ de la maison de poupée qui apparaît dans le film. On peut même y voir une figurine représentant Hayao Miyazaki lui-même, assise dans la maison. La maison a fait le tour du Japon, participant également à la campagne promotionnelle autour du film.
Enfin, une exposition de layout du film a eu lieu au Musée d'art contemporain de Sapporo.

Arrietty, le petit monde des chapardeurs a connu un succès important, engrangeant aux alentours de 10 milliards de yens (environ de 110 millions de dollars), soit près du double des Contes de Terremer ou du Royaume des chats. C'est donc une remarquable performance pour un jeune réalisateur, d'autant que le film a également bien mieux été accueilli par les critiques que l'a été par exemple le premier film de Gorô Miyazaki.