Mis à jour : lundi 10 octobre 2022

Le Royaume des chats : Entretiens

Entretien avec Hiroyuki Morita, réalisateur du film

Que Hayao Miyazaki vous confie la réalisation de ce film semble être une formidable opportunité ?

Eh bien... J'avais souvent dit à mon entourage que je souhaitais passer à la mise en scène, et je pense que ça a dû venir aux oreilles de M. Miyazaki... Il était en train de mettre ce projet sur pied avec Aoi Hiiragi, et il m'a presque forcé à en accepter la réalisation ! Il m'a dit que je n'avais pas le choix, qu'il leur fallait un réalisateur pour avancer. Je ne connaissais pas encore l'histoire, et ça m'inquiétait. Mais je me suis dit qu'ayant envie de faire de la mise en scène, je n'avais pas le droit de refuser une telle chance !

Comment avez-vous abordé le projet ?

J'avais surtout très peur de ne pas bien adapter au cinéma l'œuvre originale d'Aoi Hiiragi. Au début, j'ai beaucoup douté. J'ai même pensé faire quelque chose de complètement différent. Accumulant les essais et les erreurs, je me suis aperçu que ces tâtonnements venaient du fait que je ne comprenais pas les bandes dessinées pour filles. Or, je devais faire un film semblable à ces bandes dessinées...

Qu'entendez-vous par « bandes dessinées pour filles » ?

Les bandes dessinées pour filles se concentrent sur les sentiments, les désirs des filles. Mais c'est imperceptible. Ça reste vague. En traitant ce genre de sujet, on a forcément du mal à rester objectif. Mais j'ai arrêté de douter et j'ai décidé de raisonner en sens inverse. Si cette histoire doit être adaptée au cinéma, quel genre de fille sera Haru ? Comment sera le Bureau des chats ? le Baron ? Et Muta ?

Comment avez-vous imaginé l'héroïne, Haru ?

Ce qui m'a d'abord marqué, c'est sa phrase : « Après tout, le Royaume des chats n'est peut-être pas si mal... » Il est simple de démontrer que notre monde n'est ni aussi éclatant, ni aussi magnifique que celui dépeint dans les bandes dessinées pour filles. Il existe en effet beaucoup de choses sales, ignobles. Mais ce genre de discours ne concerne pas les fans des bandes dessinées d'Aoi Hiiragi. En fait, j'ai demandé aux femmes du studio Ghibli de me parler des charmes des bandes dessinées pour filles et petit à petit, j'ai commencé à comprendre.

Il faut avoir de l'imagination pour trouver notre monde beau. Et à plus forte raison, le Royaume des chats. Mais Haru pense que ce n'est peut-être pas si mal. Elle dit même : « C'est peut-être le paradis. » Haru est dans un tel état d'esprit qu'elle ne peut s'empêcher de raisonner ainsi. Je me suis dit qu'il était puéril de trouver ça ridicule. Mais ce qui est amusant, c'est que Haru sait pertinemment que cette idée est stupide, alors elle reste vague : elle dit que ce n'est « peut-être pas si mal... »

C'est son expression favorite.

J'ai trouvé ça mignon. J'aime ce genre de fille, ouverte, naturelle, gaie et sensible. Mais certains la trouveront peut-être indécise et stupide.

Mais c'est ce qui fait tout l'intérêt du film...

Oui, parce que c'est un film de divertissement. Je trouve ça beau, les gens qui doutent et ne trouvent pas d'issue. Parce que si dans ce monde, on n'a pas d'absolu, il est tout à fait juste d'adopter ce genre d'attitude. Tout le monde est ainsi. On ne cesse de se battre.

Je fais partie de cette catégorie de gens et je m'accroche à mon statut de réalisateur. C'est peut-être ce qui explique mon attirance pour le personnage de Haru. Certains puisent leur bonheur dans la vie quotidienne et sont heureux, même s'ils n'ont ni chance particulière, ni rang social élevé, ni place honorable. Il s'agit par exemple des femmes au foyer qui élèvent leurs enfants (et peut-être des hommes au foyer aussi). J'ai beaucoup de respect pour eux parce que seules les personnes sensibles et cultivées peuvent apprécier ce genre d'existence. Haru deviendra une adulte de ce genre. En fait, en décrivant ses errances, j'ai pu comprendre mes propres doutes.

Vous avez beaucoup réfléchi en réalisant ce film ?

Au début, j'avoue avoir parfois regretté d'en avoir accepté la réalisation. J'ai craint de ne pas être à la hauteur. Il s'agissait de mon premier film. Je trouvais cela prématuré. Mais mon équipe m'a aidé. Plus je me suis concentré sur ce film, plus j'ai eu confiance en ce projet, plus le soutien de mon entourage est devenu important. Le Royaume des chats s'est révélé comme un dessin animé traitant de la bonne volonté en général, et mes doutes se sont évanouis. Je suis persuadé que les spectateurs sentiront, à travers Haru, le Baron, Muta et Toto, la bonne volonté, la conscience professionnelle de toute cette équipe.

Entretien avec Aoi Hiiragi, autrice de l'œuvre originale

Comment avez-vous envisagé de travailler à nouveau pour le cinéma ?

Je pensais que la conférence de presse annonçant la production du film Si tu tends l'oreille serait ma dernière. J'étais loin d'imaginer qu'une autre de mes bandes dessinées allait être adaptée au cinéma par le studio Ghibli. Connaissant le succès mondial rencontré par Le voyage de Chihiro, j'étais très inquiète : je me demandais si mon histoire allait convenir. Au début, lorsque Hayao Miyazaki, qui avait déjà adapté Si tu tends l'oreille au cinéma, m'a proposé ce travail, il voulait une histoire très courte qui donnerait un court métrage de 20 minutes, et qui en reprendrait certains éléments. Pour cette raison, j'avais accepté sans trop réfléchir. Mais au fur et à mesure que j'écrivais, l'histoire s'annonçait de plus en plus longue. Je me suis rendu compte que le film allait faire plus de 20 minutes, mais comme il s'agissait d'un travail de base, je me suis dit que les gens du studio Ghibli allaient pouvoir couper ce qu'ils désiraient !

J'avais terminé mon manuscrit depuis plus de six mois, soulagée d'avoir pu accomplir ma mission, et je me demandais quand le film serait achevé lorsque, à la fin de l'année dernière, le producteur est venu à Hokkaidô, où j'habite. Il s'était déplacé de très loin et je l'ai accueilli angoissée, persuadée qu'il était venu m'annoncer l'annulation du projet. Or, il m'apportait l'affiche du film et venait me dire qu'il allait sortir en salles ! Je n'avais jamais imaginé ça et, dubitative, je lui ai demandé si mon histoire lui convenait vraiment... Je doutais encore !

Parlez-nous de votre héroïne, Haru. Que vouliez-vous transmettre à travers elle ?

Lorsque l'on m'a proposé ce travail, j'ai pensé que l'on attendait de moi le genre de chose que je fais en tant que dessinatrice de bandes dessinées pour filles. Voilà pourquoi j'ai décidé que mon héroïne serait une lycéenne. À ce moment-là, je réfléchissais souvent à ce qu'est le bonheur pour un être humain, et je crois que cette question se retrouve dans mon histoire.

Les bandes dessinées pour filles traitent souvent de l'amour. Pour une adolescente, le bonheur est d'aimer et d'être aimée en retour. Mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres formes de bonheur. Même si, dans le quotidien, nous avons souvent l'impression de ne pas avoir de chance.

Ce film est une histoire qui se déroule dans un monde imaginaire. Haru se rend au Royaume des chats. Après son retour, elle rencontrera peut-être d'autres situations difficiles, mais son expérience lui permettra d'être moins malheureuse et d'avoir une vision plus ouverte. Voilà ce que j'avais en tête en écrivant cette histoire.

Comment avez-vous procédé pour créer l'histoire ?

Etant donné que l'on y retrouve le Baron, un jouet à l'apparence de chat, et Muta, je ne pouvais qu'écrire un récit imaginaire. Pour un film d'animation, il faut un univers dans lequel les spectateurs entrent immédiatement. J'ai donc pensé que je devais avant tout créer des personnages qui toucheraient les gens, leur permettant ainsi de pénétrer dans ce monde. J'ai alors eu l'idée de l'héroïne, Haru. C'est une lycéenne ordinaire, comme il y en a partout. Il était important qu'elle soit ainsi, pour que les spectateurs soient captivés par l'histoire. Ensuite, j'ai créé le cadre de l'histoire, dont le noyau est l'étrange expérience vécue par Haru. Le charme des récits imaginaires réside dans leur vision du monde particulière et pleine d'originalité. J'aime l'imaginaire, et je lis souvent ce genre de livres. Mais lorsque j'ai dû écrire moi-même une telle histoire, je me suis demandée quelle vision du monde créer. C'est ainsi qu'est né le Royaume des chats. J'en ai fait un monde dans lequel tout est possible, rien n'est vraiment important. Le personnage qui règne sur ce pays devait donc être un peu insolite. J'ai alors créé le roi des chats. La raison pour laquelle Haru se rend là-bas est cette « dette » un peu embarrassante qu'ont les chats envers elle. Voilà comment est née l'histoire.

Afin de mettre en scène le Baron, j'ai imaginé une histoire écrite par Shizuku, l'héroïne de Si tu tends l'oreille, qui aurait grandi. Cette histoire terminée est maintenant publiée sous le titre Le chat Baron. À l'occasion de cette publication, je voulais mettre : « Texte : Shizuku Tsukishima - Dessins : Aoi Hiiragi. » Mais c'était une idée peu réaliste et je ne l'ai finalement pas fait. Maintenant que vous en connaissez la genèse, j'espère, en tant qu'auteur de l'œuvre originale, que vous prendrez plaisir à voir le dessin animé et à lire la bande dessinée. Et je serais heureuse que vous réfléchissiez à ce qu'est le bonheur en compagnie de Haru.

Les décors par Naoya Tanaka, directeur artistique

« Pour ce dessin animé, dès le départ, j'ai décidé de respecter l'univers de la bande dessinée originale. J'ai donc voulu créer des décors joyeux et beaux, afin d'éviter d'alourdir l'ensemble. Je ne voulais pas de décors imposants et voyants comme ceux du Voyage de Chihiro. Lorsque j'ai lu pour la première fois la bande dessinée originale, j'ai eu l'impression d'une vie quotidienne légère. Il m'a donc semblé que les décors devaient être simples. Lors de la préparation, j'ai beaucoup discuté avec le réalisateur de ce sujet, entre autres, tout en dessinant à l'aquarelle des feuilles de modèles. Comme il s'agissait du premier long métrage qu'il mettait en scène, je lui ai donné certaines idées et nous avons construit la vision du monde qui constitue le noyau de ce film. Par exemple, pour la scène où Haru sauve Loon, j'ai proposé de mettre en arrière-plan beaucoup d'azalées en fleurs afin de donner une indication de la saison.

Mais ce qui m'a posé le plus de problèmes, c'est ce Royaume des chats. Dans la bande dessinée, il est dépeint comme un monde extrêmement fermé. Comment montrer cela dans le film ? En fin de compte, j'ai fait une adaptation audacieuse, en figurant un monde joyeux et clair. L'image d'ensemble se base sur « l'impression de lumière débordante » imaginée par Aoi Hiiragi. Au final, ce monde est un endroit paisible, au climat doux. Il y a un château, et sept lumières différentes viennent du ciel. On pourrait croire qu'il s'agit d'une illusion, d'un mirage. Pour ce qui est du château, je me suis basé sur l'image de l'œuvre originale, qui le montrait protégé par des douves et entouré de prairies. C'était également la volonté du réalisateur de le situer en pleine nature.

En ce qui concerne le monde réel, je ne me suis pas inspiré d'une région particulière. J'ai volontairement créé un quartier résidentiel moyen, un espace qui ne donne pas l'impression d'être imposant. J'ai pris le parti de ne pas beaucoup dessiner les ombres des personnages, et j'ai fait des arrière-plans simples, avec très peu de contrastes.

Pour finir, abordons le Bureau des chats. En insérant toutes sortes d'éléments européens, en dessinant des fleurs, des soucis et des géraniums, j'ai créé une atmosphère de quartier à l'européenne. La lumière est semblable à celle du monde réel. Néanmoins, la notion de taille est importante : les maisons sont plus petites alors que j'ai dessiné des plantes de taille réelle.

Ce qui caractérise les décors de ce film, plus encore que la différenciation des divers mondes, c'est l'emploi de la lumière. Je pense être parvenu à représenter une lumière claire, qui perce le ciel. Les scènes dans les rues reculées ou les scènes de nuit ne sont jamais maussades. Toutes donnent une impression de gaieté et de clarté. La seule scène différente est celle où apparaît le Baron. J'ai volontairement utilisé un effet de soleil couchant et j'ai amplifié les contrastes en accentuant les ombres. C'est un grand tournant dans l'histoire et je voulais le rendre impressionnant ! Je serais heureux que les spectateurs éprouvent du plaisir à découvrir cette vision du monde, illustrée par des décors un peu différents de ceux des précédents dessins animés Ghibli. »

La musique par Yûji Nomi, compositeur

« Pour la musique de ce film, j'ai commencé par des morceaux de démonstration, composés à partir des idées que j'avais des personnages. J'ai d'abord composé les morceaux de l'héroïne, Haru. Il y en a deux : celui qui correspond au monde réel et celui qui se rattache à ses souvenirs d'enfance. Pour le premier, je me suis efforcé de montrer le bouillonnement de la vie quotidienne, l'agitation des scènes du monde réel. Mais ça ne correspondait pas à l'image que s'en faisait le réalisateur et j'ai beaucoup modifié cette musique par la suite ! L'autre morceau est nostalgique. En un sens, il me semble qu'il est devenu le thème central du film.

Ensuite venait le Baron. C'est un personnage simple et incroyablement élégant. Par conséquent, j'ai composé un morceau extrêmement pompeux, comme des trompettes jouant une musique de fanfare. Pour ce qui est de Muta, j'ai transposé en musique son côté rustre. J'ai composé le thème du roi des chats de sorte qu'il semble illustrer le Royaume. Derrière son apparence majestueuse, imposante, ce Royaume paraît être une imposture. Je ne voulais pas en donner une bonne impression. Je désirais en effet que le contraste avec le Baron, qui vient sauver Haru, soit saisissant.

Pour la musique jouée par les chats qui défilent au début du film, le réalisateur m'a demandé d'utiliser le son de la flûte orientale, qui fait très... « chat » ! Ça donne peut-être une sonorité un peu japonaise. Mais le Royaume des chats n'étant pas le Japon, j'ai ajouté l'orgue, le hautbois et la clarinette, rythmés malgré tout par le tsuzumi, un petit tambour japonais. Pourquoi le tsuzumi ? Tout simplement parce que parmi les chats qui interprètent cette musique à l'image, il y en a un qui joue de cet instrument ! Ce morceau colle parfaitement à l'image. Il en est de même pour les musiques interprétées par l'orchestre de chats dans la scène du banquet au château. Comme l'un d'eux joue du tsuzumi et un autre, de l'accordéon, j'ai intégré ces deux instruments à ma musique.

J'ai donc composé la musique de ce film à partir des personnages ou des scènes. Pour la musique de la scène où Haru revient du Royaume des chats saine et sauve, il y a quelque chose qui, je pense, n'échappera pas aux spectateurs qui ont vu Si tu tends l'oreille. Je voulais, par ma musique, établir une connexion entre ces deux films. Je vous laisse regarder le film et trouver vous-même mon clin d'œil. »

Le thème principal par Ayano Tsuji, autrice, compositrice et interprète

« Comme j'aime beaucoup les dessins animés Ghibli, j'étais extrêmement heureuse qu'ils me demandent de composer le thème principal de celui-ci. S'agissant de la chanson centrale du film, je m'inquiétais un peu de la difficulté de ce travail, pensant à toutes les contraintes à respecter. Mais le réalisateur m'a dit : « Je ne veux pas de ballade, mais une chanson rythmée, puisée dans votre univers. » Il me laissait donc toute liberté.

Lorsque je l'ai composée, le film n'était pas encore terminé et je m'en suis fait une idée en lisant le storyboard. J'ai éprouvé beaucoup de sympathie pour le caractère positif de l'héroïne, Haru, et sa façon d'être bien à elle. Je voulais exprimer clairement dans ma chanson le changement qui s'opère en elle, pas de manière flagrante mais plutôt progressive. Sur le point d'être emmenée au Royaume des chats, elle se dit : « Le Royaume des chats... Après tout, pourquoi pas ? » On peut rencontrer ce genre de situation au cours de l'existence. En suivant le fil général de sa vie, il peut arriver que l'on soit attiré par des chemins un peu différents, que l'on fasse des détours. Ça fait partie de la nature humaine. Et l'on finit ainsi par trouver ce qui est important pour soi. Je pense qu'il s'agit du thème de ce film : savoir affirmer sa propre identité. C'est quelque chose de magnifique. Je souhaitais que ce thème se reflète dans ma chanson.

La chanson est née naturellement, dans un fredonnement : « Ferme tes yeux qui ont oublié. C'est la chanson de l'amour retrouvé... » Dans ces paroles, le mot « amour » n'est pas employé uniquement dans son sens premier. Il désigne également les sentiments des humains envers la vie, le travail, les études, les rêves et toutes sortes de choses. Au début de la chanson, il me semble que derrière la douceur, se cache une volonté extrêmement forte. J'aime beaucoup ce passage. Cette chanson a pour clé de voûte « les sentiments que l'on a oubliés. » Je l'ai composée en mettant à l'unisson mes sentiments et ceux de Haru, et je les ai illustrés par une mélodie joyeuse.

Pour le titre, je voulais utiliser le mot « vent » et, après avoir longuement réfléchi, il m'est venu à l'esprit que j'aimerais devenir le vent. J'ai donc opté pour le titre Devenir le vent. »


Source : dossier de presse français du film