Mis à jour : vendredi 8 avril 2022

Gauche le violoncelliste : Origines et production

Les origines du film

Créé au début des années 1970, Oh! Production était un studio spécialisé dans les formats courts et les séries. Au milieu des années 70, les exécutifs de la firme ont décidé d'investir dans une œuvre de catalogue susceptible d'augmenter la notoriété de leur petite infrastructure. Cependant, le budget du film devait rester limité et le nombre de techniciens restreint. Le producteur Kôichi Murata veut attirer des artistes doués et remédier aux défiances budgétaires sans vendre son âme au diable ni hypothéquer l'avenir de sa société. Il fait alors deux choix audacieux qui s'avèreront payants : donner carte blanche aux animateurs et ne pas limiter la production dans le temps. Réalisé presque bénévolement sur une période de six ans, Gauche le violoncelliste a bénéficié du total engagement des membres de l'équipe technique qui, entre deux contrats, ont sacrifié leurs congés pour s'investir corps et âme dans un projet qu'ils ont entièrement conçu.

« Je désirais depuis longtemps financer un film issu d'un ouvrage japonais », commente Kôichi Murata. « A l'époque, le dessinateur Toshitsugu Saida était employé dans ma société de production mais, perfectionniste, il avait pris un congé d'un an pour améliorer son style graphique [...]. Je lui ai quand même proposé de profiter de son temps libre pour faire un film avec moi. Au départ, je pensais que la bande deviendrait un court métrage de 30 ou 40 minutes, et qu'Isao Takahata s'occuperait du storyboard. Je croyais que l'affaire serait rondement menée. Mais, rien ne s'est vraiment déroulé comme je le prévoyais. Il a notamment été compliqué d'obtenir la permission des ayant droits. Initialement, le petit frère de Kenji Miyazawa ne souhaitait pas que le film soit produit. Isao Takahata, très prudent, pensait lui aussi qu'il ne fallait pas adapter en animation cette nouvelle de Miyazawa. Mais comme j'étais persuadé que le sujet était adéquat, j'ai fini par les convaincre tous deux. »

Cela faisait un certain temps que Takahata voulait adapter un roman de Miyazawa à l'écran, « mais cette chimère m'a longtemps semblé insaisissable, car ses œuvres se situent dans un monde imaginaire nommé Ihatobu dont chaque lecteur possède une représentation personnelle », explique Isao Takahata. « L'adaptation en image de cet univers risquait de ne pas correspondre aux visions de chacun. Heureusement, la nouvelle Gauche le violoncelliste est un peu différente. Je me suis dit que si l'on respectait la trame de l'histoire en la modifiant légèrement, la translation cinématographique était envisageable. Je souhaitais ardemment réaliser un film sur le Japon, ce qui était très rare à l'époque. L'action de la plupart des films d'animation se déroule dans des univers de type occidental qui, pour les Japonais, sont la référence en matière de fiction et d'exotisme, puisqu'ils diffèrent de leur quotidien. Parvenir à financer puis à vendre Gauche le violoncelliste était donc une gageure, car le film est profondément ancré dans le folklore nippon, même si son message transcende les frontières. »

Gauche le violoncelliste : de la nouvelle au film

Gauche le violoncelliste (Serohiki no Gôshu) est une nouvelle de Kenji Miyazawa (1896-1933) et a été tirée du recueil Train de nuit dans la Voie lactée. Cette sorte d'autobiographie transformée en fable a été rédigée peu après le retour de l'écrivain à Iwata, lorsque sa sœur est tombée gravement malade puis est décédée.

Cet auteur, très connu dans son pays, a renouvelé la poétique, en mettant en scène hommes et bêtes, êtres célestes ou pierres et mousses : il nous projette dans l'univers de l'enfance, où l'invisible et le visible se rejoignent, au bord du merveilleux. Le train de la Voie lactée, récit qui se déroule pendant la nuit de la fête du Centaure, égare le lecteur dans un monde où le réel se dissout, un monde merveilleux, un monde féerique. Si l'oeuvre de Miyazawa, quoique inclassable, fait désormais partie des classiques au Japon, elle reste encore relativement inconnu en dehors de son pays (seuls quelques uns de ses ouvrages ont été traduits en français).

Transcrit phonétiquement dans le syllabaire katakana, Gôshu se prononce « gauche ». On peut logiquement supposer que Kenji Miyazawa connaissait la signification de ce mot en français. Cette astuce linguistique fut initialement trouvée par Seiroku Miyazawa, le petit frère de Kenji, qui offrit à son frère un nom pour sa nouvelle. Dans la nouvelle, Gôshu est un jeune violoncelliste d'un orchestre local qui doit bientôt jouer dans la grande salle de concert de la ville. Il est le plus mauvais joueur du groupe et, un jour, lors d'une répétition, il se fait réprimander par le chef d'orchestre à cause de son jeu. Il rentre chez lui honteux et furieux, et décide de s'entraîner toutes les nuits. C'est au cours de ces nuits que viendront le voir plusieurs animaux et que Gôshu comprendra le sens de la musique. On voit donc que la trame du film de Takahata est similaire à l'œuvre de Miyazawa dont il s'est inspiré.


Néanmoins, on peut voir quelques différences non négligeables. Chez Takahata, les animaux aident Gôshu de façon explicite, lui inculquant des valeurs, alors que chez Miyazawa, la révélation est intérieure, inconnue du personnage même. Dans la nouvelle de Kenji Miyazawa, Gôshu est un violoncelliste professionnel qui, malgré ses engagements auprès de plusieurs orchestres, joue sans comprendre les secrets de son art. Contrairement au livre, Takahata a fait de Gôshu un jeune homme sans expérience, expliquant ainsi son choix : « Après concertation avec l'équipe, nous souhaitions tous que Gauche le violoncelliste évoque nos souvenirs d'artistes débutants, notamment cette sensibilité exacerbée et le complexe d'infériorité dont on souffre à cause du tract. Par ailleurs, nous voulions aussi que Gôshu ressemble à ces adolescents qui, à cause de leur timidité, semblent indifférents à tout. »

Pour ne pas limiter les aventures de Gôshu au voyage initiatique d'un musicien, les thèmes abordés dans le livre ont également été traités de manière plus globale dans le film. Là encore, le choix de Takahata est délibéré : « Quand un jeune homme essaye d'atteindre ses objectifs, il rencontre des obstacles, qu'il doit accepter, comprendre et surmonter. Petit à petit, Gôshu vainc sa timidité, se prend d'affection pour les autres et il acquiert ainsi son autonomie ; mais il ne s'en rend pas compte. Lorsque les gens de son entourage le félicitent pour ses énormes progrès, il reste incrédule, ne les croit pas. Finalement, à l'heure de la prise de conscience, il comprend la nécessité du dialogue et de l'abnégation... Gôshu est un miroir dans lequel toute l'équipe s'est reflétée. »

Takahata a également gommé certains éléments fantaisistes de l'œuvre de Miyazawa, notamment la scène finale du livre, qui ne voyait pas l'intégration de Gôshu dans la société.

Cette adaptation semble donc plus proche des aspirations contemporaines, véritable reflet des états d'âmes de l'équipe de réalisation, permettant à n'importe quel spectateur de s'identifier aux tribulations de Gôshu. De l'aveu même du réalisateur : « Les modifications apportées dans mon script n'avaient pas comme objet de lénifier le propos de l'œuvre originale. J'ai au contraire tenté de renforcer son impact et son universalité, sans pour autant trahir ma propre sensibilité. »

La production

La production de Gauche le violoncelliste a débuté en 1975 avec une équipe de moins de trente personnes. À l'époque, il avait été décidé que la mise en scène reviendrait à Isao Takahata, tandis que la composition scénique devait revenir à Hayao Miyazaki. Mais Miyazaki déclina la proposition, car il pensait qu'il valait mieux que le film évolue avec un seul metteur en scène, afin de garder une unité parfaite. C'est le dessinateur Toshitsugu Saida qui fait donc les premières ébauches de storyboard, tandis que Takahata est nommé réalisateur, Saida se mettant entièrement à son service.

Entre 1976 et 1977 Isao Takahata quitte momentanément la production pour réaliser une série de films d'animation pour la télévision. Pendant ce temps, Saida et Kôichi Murata stoppent également leur travail. Toutefois, les enregistrements de La chasse au tigre en Inde et Le joyeux cocher, des partitions néo-classiques spécialement composées par le compositeur Michio Mamiya, se poursuivent. Cela permet à l'équipe d'Isao Takahata de construire l'animation du film en accord avec une bande-son finalisée, luxe que les productions live et animées actuelles ne peuvent plus s'offrir en raison de son coût élevé.

Un an plus tard, en 1978, Isao Takahata revient à la tête du film. Il décide que tous les paysages et backgrounds de Gauche le violoncelliste doivent être dessinés par un peintre, afin de conserver les nuances de couleurs évoquées par Kenji Miyazawa dans sa nouvelle. Mais, comme la durée prévisionnelle du film dépasse déjà une heure, il est difficile de trouver un pastelliste acceptant d'effectuer seul un labeur d'aussi longue haleine. Takamura Mukuo accepte néanmoins de se charger de cette tâche.

Six années s'écoulent entre le début de la production de Gauche le violoncelliste et l'achèvement du film, avec la première projection le 19 septembre 1980 à la maison de la culture de Hanamaki. Son exploitation en salle est programmée l'année suivante après avoir remporté le Prix Ôfuji, référence absolue en matière de récompense dans le domaine de l'animation japonaise. Aujourd'hui encore Gauche le violoncelliste est toujours projeté dans les salles obscures de l'archipel. Il sert également de support pédagogique dans de nombreuses écoles de musique pour enfants. « Je ne pensais pas gagner de l'argent avec ce film, je l'ai réalisé uniquement par conviction et plaisir personnel », raconte Isao Takahata.

La sortie en France

Après la sortie française du Tombeau des lucioles en 1995, Les Films du Paradoxe, sous l'impulsion de son dirigeant Jean-Jacques Varret ont envisagé de distribuer d'autres films d'Isao Takahata. Mais certains comme Souvenirs goutte à goutte ou Pompoko ne peuvent être exploités car ces œuvres dépendant de l'accord Ghibli/Buena Vista. Gauche le violoncelliste n'était pas concerné mais, comme toujours avec les œuvres japonaises, les négociations furent longues et difficiles : il a fallu plus d'un an et demi de tractations entre le Japon et le bureau des ayants droit à Los Angeles.

Pour sa sortie française, le 5 décembre 2001 (19 copies), Gauche le violoncelliste a été proposé en version doublée afin qu'il touche un public plus familial que Le tombeau des lucioles et parce que selon Jean-Jacques Varret, une œuvre de cette nature s'y prête mieux. En effet, selon lui le public français ressent comme un décalage avec la langue japonaise. Un gros travail sur l'adaptation a été réalisé avec la traductrice Catherine Cadou, pour conserver les subtilités de la langue. Par ailleurs, le personnage de Gôshu a été doublé par un comédien, premier prix de conservatoire. Il a ainsi pu écouter les différentes partitions du héros afin de les avoir en tête et son jeu est donc en parfaite harmonie avec la musique, qui tient une grande place dans le film.

Affiches française et japonaise du film.

A noter que deux mois avant la sortie de Gauche le violoncelliste au cinéma, l'éditeur vidéo LCJ a sorti indépendamment le film en vidéo et DVD avec un doublage différent. Aucun terrain d'entente n'a pu être trouvé entre le distributeur et l'éditeur pour éviter cette sortie vidéo prématurée mais cela n'a pas empêché le film de tourner correctement en salles (près de 45 000 spectateurs, sans compter la projection dans de nombreux festivals).