Mis à jour : dimanche 3 mars 2024

Le vent se lève : Art et technique

Graphismes et effets visuels

Scènes se déroulant dans les airs, ballets aériens d’avions fantasmés ou ayant vraiment existés, on retrouve dans Le vent se lève beaucoup des éléments préférés de Hayao Miyazaki. Mais aussi de nouveaux défis techniques, comme la représentation de catastrophes naturelles ou des mouvements de foule complexes.

Là où la quasi totalité des productions actuelles se serait appuyée sur le tout 3D pour produire ces scènes délicates, sur Le vent se lève, le studio Ghibli a été fidèle à sa marque de fabrique et a de nouveau privilégié l’animation traditionnelle, son dessin sur papier et ses décors peints à la main, n’ayant recours à l’informatique que pour assembler ces éléments, mais aussi pour enrichir discrètement le travail de ses animateurs et de ses décorateurs.

Pour ce film, le studio n’a jamais semblé aussi décomplexé par rapport à l’utilisation du numérique pour traiter et embellir ses effets spéciaux. Voici un passage en revue des différentes techniques utilisées sur le film et des intentions de réalisation justifiant leur utilisation.

La myopie de Jirô

Dans le film, le personnage de Jirô est myope. Hayao Miyazaki souhaitait vraiment insister sur la façon dont il pouvait voir à travers les verres de ses lunettes et sur sa vision dépareillée entre ses deux yeux. Notamment les flous, comme dans la scène où Jirô enfant se réveille et regarde le plafond et la lampe à travers sa moustiquaire et que ses yeux ne parviennent pas à faire une mise au point précise. Dans une autre scène, sur un dirigeable observé à travers ses lunettes et qui se dédouble légèrement, ce sont des distorsions qui ont été ajoutées.

Les masques

Pour la scène entre Jirô et Nahoko, à Karuizawa, près d’un réservoir d’eau, lorsque le vent se lève et souffle à la surface de l’eau, le mouvement des vagues qui passent au premier plan a été dessiné à la main. Les plus petites, au second plan, et les reflets de lumière à la surface de l’eau, ont été ajoutés lors de la prise de vue et traitées numériquement à l’aide de masques.
L’avantage du numérique permet au studio Ghibli de traiter ces masques avec une plus grande souplesse par rapport à l’époque du tout cellulo.

La technique du masque a également été utilisée pour la scène de rêve de Jirô enfant, lorsque celui-ci teste son avion en forme d’oiseau et survole les rizières. Celles-ci prennent les reflets de la lumière du soleil qui se lève et s’éclaircissent peu à peu.

Lors des mouvements des ombres de la scène de poursuite se déroulant de nuit en Allemagne, ces masques ont été animés traditionnellement, à l’aide d’images clés, puis rehaussés d’effets numériques.

Le studio Ghibli a encore eu recours à la même technique lorsque Jirô écrit des chiffres sur ses plans. À l’époque du cellulo, le procédé consistait à filmer le chiffre en son entier à la prise de vue, puis à l’effacer petit à petit. Dorénavant, en utilisant un masque numérique, le procédé est inversé : c’est en le déplaçant qu’on fait apparaitre les traits un a un.

La pluie

À l’époque du cellulo, pour représenter la pluie, la technique consistait à mettre des coups de cutteur sur le cellulo. Avec cette technique, il n’était pas possible de créer différentes variétés de pluie. De plus, il était souvent impossible de les réutiliser. Avec le numérique, cet effet devient plus simple.

Dans Le vent se lève, lors de la scène ou Jirô et Nahoko marchent sous la pluie, celle-ci est d’abord dense, avant de devenir plus fine et de s’arrêter complètement. Avec le numérique, ce genre d’effet devient possible pour le studio Ghibli.

Neige et pétales de fleurs

Si la technique des particules a été utilisée pour simuler la neige de la scène de rêve de Jirô dans le train, celle qui tombe sur le sanatorium de Nahoko, ou encore des pétales de fleurs flottantes dans l’air de certains plans, le studio Ghibli n’a pas privilégié le tout numérique, mais préféré le cas par cas et l’efficacité d’une technique par rapport à une autre.

Aussi, pour la scène du mariage, lorsque Nahoko s’avance dans le couloir extérieur de la maison de Kurokawa, si les pétales de fleurs qui l’entourent sont simulées et animées en numérique, en revanche, celles qui flottent ensuite dans la chambre utilisent l’animation traditionnelle.

Fumée et nuages

Les nuages et la fumée sont des éléments importants dans Le vent se lève. Lors de la scène du séisme de Kantô, une fumée noire monte comme un nuage. Ce même nuage est repris plus tard dans le film, lors d’une scène de bombardement, légèrement retouché. Le mouvement de ce nuage a été animé en numérique.

Le séisme

Les scènes du séisme ont principalement été produites en animation traditionnelle. Mais les effets de vibrations du tremblement de la terre ont été animés directement par des mouvements de caméra. À cela ont été ajoutées numériquement des projections de terre diverses.
Durant la production du film, le studio Ghibli a directement vécu le séisme de la côte Pacifique du Tôhoku du 11 mars 2011. L’expérience et le ressenti de cette catastrophe a nourri le résultat final.

La lumière

Un soin particulier a été apporté à la lumière des scènes de rêve de Jirô. Pour la scène où Jirô et Caproni discutent sur les ailes d'un avion, plusieurs sources de lumière ont été ajoutées au décor pour accentuer la lumière du coucher de soleil sur le paysage. À la source de lumière principale venant du soleil ont été ajouté des sources de lumières diffuses sur les nuages environnants.

L’obscurité

Pour Le vent se lève, Hayao Miyazaki avait en tête les maisons des années 20 et 30 de l’ère Shôwa. A cette époque, l’intérieur des habitations japonaises étaient peu éclairées (la puissance de l’éclairage était alors équivalente à 40 watts pour une pièce d’une superficie de 4 tatamis et demi). Les plafonds étaient notamment très sombres. Mais au cinéma, si on utilise un noir profond, le résultat à l’écran sera peu intéressant esthétiquement. Les intérieurs des maisons du film ont donc bénéficié d’un travail important sur les contrastes pour décrire les endroits sombres et lumineux.

La fumée de cigarette

À l’époque du film, fumer n’était pas mal vu au Japon. Beaucoup fumaient et notamment la plupart des hommes. Pour Hayao Miyazaki, montrer des personnages en train de fumer est une caractéristique inévitable si on réalise un film qui se déroule à cette époque.
Cependant, pour éviter d’ajouter des nuages de fumée dans n’importe quel lieu public montré dans le film, le studio Ghibli a choisi de limiter cet effet à quelques décors uniquement, comme dans les scènes de café. Actuellement, au Japon, si on peut toujours fumer dans les cafés, ces endroits sont séparés en zone fumeurs et non fumeurs. A l’époque du film, cette distinction n’existait pas encore et ce genre lieu était toujours noyé dans des nuages de fumée. Pour ces scènes, le studio Ghibli a donc intentionnellement ajouté numériquement des nuages de fumée. Tout comme dans les scènes de train, où la fumée de cigarette est animée traditionnellement et complétée par un effet d’évaporation numérique.

Camera mapping

Le seul recours notable à la 3D sur le film a été pour des paysages en mouvement, comme ceux visibles à travers les fenêtres du train qui mène Jirô vers Tôkyô. Ils ont été traités par la technique du camera mapping qui consiste basiquement à projeter une image sur une forme 3D. Cette technique permet notamment de résoudre tout ce qui est problème de traveling dans un film d’animation traditionnelle, évitant le long travail fastidieux de dessiner image par image un décor qui défile et qui se déforme sous des effets de mouvements et de perspective.

La même technique a été utilisée pour la scène ou Kayo observe Nahoko à travers la vitre arrière du bus en mouvement ou lors de scènes à la gare de Nagoya.

Les effets sonores du film

Un choix audacieux a été fait quant aux effets sonores du film : ce sont des voix humaines qui les ont créés. Hayao Miyazaki a exprimé un intérêt particulier pour les effets sonores générés par la voix dès les tout premiers stades de ce projet. Des sons comme le grondement des moteurs d’avion, le sifflement de la vapeur d’une locomotive, ou le ronronnement d’un moteur de voiture, jusqu’au rugissement terrifiant du Grand Tremblement de terre de Kantô, ont été produits par des voix humaines.

Le court métrage La chasse au logement, réalisé par Miyazaki et visible au musée Ghibli depuis 2006, comportait lui aussi des effets expérimentaux réalisés grâce à la voix humaine. C’est la première fois que cette approche est appliquée à un long métrage.

Le son de la voix humaine apporte une personnalité particulière à de nombreux véhicules présents dans le film et également à des environnements et des lieux importants dans l’histoire, comme s'ils avaient leur propre existence, sans possibilité pour l'homme de les contrôler. Miyazaki lui-même a tenté de faire les effets sonores d’une scène : il a passé une audition, mais son équipe ne lui a pas donné son aval et il a dû renoncer à cette idée...

Doublage

Hideaki Anno, la voix de Jirô

À la surprise générale parmi les collaborateurs et les fans du studio Ghibli, c’est à Hideaki Anno, le réalisateur de la série phénomène Evangelion, qu’est revenu la tache de doubler Jirô.

Début décembre 2012, à seulement quelques mois de la sortie du film en salles japonaises, le rôle n’est toujours pas attribué. Si les caractéristiques du personnage de Jirô sont assez claires pour tout le monde, le studio Ghibli ne trouve cependant aucun doubleur professionnel qui corresponde à sa personnalité. C’est finalement le producteur Toshio Suzuki qui proposera à Hayao Miyazaki de se tourner vers quelqu’un qui ne vient pas du monde du tournage, comme Hideaki Anno.

Les deux réalisateurs sont des amis et Miyazaki est rapidement convaincu par le parallèle entre Jirô et Anno dans leur façon de travailler : en faisant avancer leurs projets dans la douleur. Il accepte de faire passer un test à Anno. « Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Toshio Suzuki » explique Anno. « Il m’a dit : « On voudrait que tu sois la voix de Jirô. J’ai d’abord pensé que je n’en serai pas capable. Mais on m’a précisé que c’était une demande personnelle de la part de Hayao Miyazaki, alors nous avons décidé de faire un essai, pour voir. » »

Le 14 décembre 2012, Anno se présente donc pour l’audition. Miyazaki est immédiatement convaincu par la voix assez neutre du réalisateur. « Après l’audition, Miya-san est venu vers moi » explique Anno. « Il m’a fait un grand sourire comme je n’en avais pas vu depuis longtemps, et il m’a dit qu’il voulait que ce soit moi qui fasses Jirô. J’ai su que je n’avais plus le choix ! »
« Lors de l'audition, Miyazaki m'a dit que le rôle de Jirô était celui d'un homme assez réservé, économe en paroles » ajoute-t-il. « Mais quand j'ai regardé l’e-konte, il n'arrêtait pas de parler, de chanter et parfois même en Français et en Allemand ! Il s’est bien moqué de moi ! J'ai finalement accepté en me disant que même si je n'y arrivais pas, de toute façon, ce serait la faute de Suzuki et Miyazaki qui m'ont choisi. Néanmoins, j’ai fait tous les efforts possibles ! »

Excepté quelques petits travaux de doublage mineurs, c'est la première fois que Anno joue un rôle principal. « Pour les sessions d’enregistrement, j’ai conservé ma voix naturelle. Miya-san en était content, et cela m’a conforté dans mon sentiment que mon approche du personnage était la bonne. Créer de l’animation et des films, ou créer des avions donne peut-être un résultat différent pour le produit fini, mais je suis convaincu que ces deux métiers auxquels nous nous consacrons pleinement, Jirô comme moi-même, est de donner forme aux rêves, de les réaliser. Je me sentais très proche de Jirô, de ce qu’il vit au quotidien sous cet aspect-là. »

C’est un travail d’autant plus important que le film de plus de 2 heures comporte beaucoup de scènes avec Jirô. « Créer un film de plus de 2 heures est un travail immense, physiquement et mentalement. Lors de la dernière scène, j'étais vraiment bouleversé. »

Stephen Alpert

Stephen Alpert est un ancien collaborateur du Studio Ghibli qui a travaillé au Département International jusqu'à la fin 2011. À ce titre, il accompagnait Hayao Miyazaki dans ses déplacements à l'étranger et est très vite devenu proche du réalisateur. Il quitta le studio en 2011 pour raisons personnelles. Mais Miyazaki a voulu ensuite lui rendre hommage en dessinant un personnage qui lui ressemblait beaucoup physiquement, l'énigmatique Castorp. Il est amusant de constater qu'Alpert essaie de prendre un accent allemand lorsqu'il parle japonais, sans toutefois y parvenir pleinement. Cet écart est manifeste dans Das gibt's nur einmal, chanson populaire des années 30, que Castorp entonne avec un curieux accent aux intonations anglaises.

Le reste du casting

Miori Takimoto, qui double Nahoko, est une actrice, ancienne idole et membre du groupe J-pop SweetS. Mirai Shida, qui double Kayo, est une actrice déjà connue dans le monde du doublage, puisque c'est elle qui a précédemment doublé Arrietty dans le film Arrietty, le petit monde des chapardeurs.

La musique du film

La bande originale

Il s'agit de la dixième collaboration entre Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki. On reconnaît le style inimitable du compositeur, alliant piano et musique symphonique, simplicité et envolées lyriques, langueurs romantiques et emportements épiques. La musique accompagne particulièrement bien la mise en scène de Miyazaki. Les passages de rêve avec Caproni prennent des accents d'Italie avec ses instruments à vents, sa mandoline et sa mélodie virevoltante et légère, non sans rappeler la musique de Porco Rosso. Mais cette musique se teinte aussi par moments de mélancolie et de gravité, comme pour rappeler les questionnements de Jirô. L'autre thème est lié à Nahoko, décliné autour de plusieurs variations. La mélodie est plus poignante, plus sentimentale et semble nous prévenir du funeste sort de l'amour de Jirô.

Hikôki Gumo, le générique de fin

C’est en décembre 2012, lors d’une émission pendant laquelle étaient présents Toshio Suzuki et Yumi Matsutôya, célèbre auteur-compositeur-interprète japonaise, que le producteur est allé trouver l’artiste. Alors qu’elle était sur scène, il lui a soudain fait une offre : « Votre chanson, Hikôki-gumo (terme désignant les traînées nuageuses laissées par un avion), s’accorde à la perfection à l’univers du film sur lequel nous travaillons actuellement » lui a-t-il dit. « Je suis en train de discuter avec notre réalisateur, Hayao Miyazaki, de la possibilité de l’utiliser comme chanson-thème du film. »

Cette offre a surpris tout le monde parce qu’elle est intervenue avant même l’annonce publique de la création du Vent se lève, et par conséquent ni l’équipe, ni Matsutôya elle-même, ne l’avaient anticipée. Yumi Matsutôya a accepté sans hésiter, en disant : « Vous me donnez le frisson... Il me semble que mes quarante ans de carrière dans la musique n’ont existé que pour ce moment... »

Ainsi, 24 ans après avoir collaboré une première fois sur Kiki, la petite sorcière, le studio Ghibli et l’artiste se retrouvent sur Le vent se lève. Yumi Matsutôya porte un attachement particulier à sa chanson, car Hikôki-gumo est une des chansons de son tout premier album, sur lequel elle portait son nom de jeune fille, Yumi Arai. Hayao Miyazaki a lui-même approuvé le choix de cette chanson, en disant « qu’elle épousait le film à merveille. » il est vrai que la musique avec son synthétiseur et la voix tantôt douce et tantôt impétueuse de Yumi Matsutôya ajoutent à la fin du film une note mélancolique, nostalgique et poignante, sans jamais sombrer dans le pathos. Or cette chanson, elle l'a écrit après la mort subite d'une de ses amies, évoquant le passage furtif de la jeune fille comme « un chemin blanc » et « une douce brume » ondoyant vers le ciel, à l'image de la frêle Nahoko emportée par le vent et la maladie à la fin du film.

Hideaki Anno, Hayao Miyazaki et Yumi Matsutôya.